La Phalange
André DUPONT
20 février 1914
La Nouvelle Revue Française publiant Les Caves du Vatican, on peut croire que le temple de la rue Madame fait accueil au papisme.
L'auteur de Prétextes est un esprit curieux, un peu inquiétant et difficile à saisir. [43] Sa pensée se pose tour à tour sur les grappes lourdes et sur les ramilles desséchées avec un plaisir égal et, semble-t-il, avec un identique profit.
Nous nous imaginions que cet homme au front dégarni et luisant, aux lèvres sèches et serrées (« Je n'aime pas vos lèvres, lui disait Oscar Wilde, elles sont droites comme celles de quelqu'un qui n'a jamais menti ») aux yeux aigus qui se dérobent, avait dépouillé toute fantaisie pour passer par la Porte étroite. Il nous paraissait avoir oublié Paludes, péché mignon d'une jeunesse insoucieuse et enchantée, et n'avoir voulu se souvenir que d'Urien qui, désertant les palais des fées et glissant entre les bras nus des femmes, poursuivait à travers les plaines de neige son rêve hautain et glacé.
Et voici que nous revient l'Enfant prodigue. Ayant délaissé la pitance nietzschéenne et s'étant égaré dans les caves du Vatican, il nous arrive tout égayé par les vins d'Italie.
En dépit de ses ancêtres huguenots qui considéraient la Bible comme l'oreiller le meilleur pour une tête bien faite, Gide qui « du stérile hiver a ressenti l'ennui » consent à suivre partout où elle veut emmener sa cervelle en fête.
Cette fois, André Gide ramasse les grossières parures du roman feuilleton. Il les examine en souriant, polit de sa manche les facettes ternies et, avec un air de défi, passe à ses doigts ces bijoux vulgaires. Dès lors, nous ne pouvons plus les reconnaître, ils nous paraissent des joyaux très fins et très rares d'une forme inconnue. L'ironie de Gide se garde du pamphlet. Point de coups de massue, mais le sarcasme vient se loger sous la flanelle du bourgeois et pique son aiguille dans son suif.
Certains amis ignorants ou certains ennemis insuffisamment informés reprochent à Gide de s'être inspiré de Paul Claudel. J'avoue que ces deux écrivains me paraissent infiniment loin l'un de l'autre. Comment marier la Saint Barthélémy avec l'Edit de Nantes ? Claudel est sûr de ce qu'il avance, il sait qu'il possède la foi. Il ne discute pas, il affirme. Gide est au contraire fureteur et inquiet, soucieux avant tout de préserver son quant à soi.
André Gide, intellectuel vibrant et renfermé, nous ignorons votre âme. Etes-vous Urien ou l'Immoraliste, baisez-vous les mains d'Alissa ou celles d'Isabelle, préférez-vous les Nourritures terrestres ou la Manne des élus ?
On ne sait, le visage émerveillé, vous courez à travers le monde. Vous vous penchez sur la source fraîche pour rafraîchir vos lèvres brûlantes, vous humez jusqu'à la griserie les parfums que secouent les bois, vous êtes frappé d'émotion quand, avant de mourir, le soleil mire dans les étangs sa face sanglante, et vous tremblez quand l'aube grise et froide vient éveiller les prairies.
Un désir de vivre, de respirer un air plus pur, loin des momies embaumées et dorées, fait battre éperdument votre cur d'homme.
Vous avez rôdé, en curieux un peu tenté, autour du catholicisme, mais ce n'était là qu'un amour de tête, le goût de clartés plus douces et de plus rares parfums.
[44] « Les Caves du Vatican » ! O Garibaldi qui oubliâtes d'y cacher vos chemises rouges -- roman qui s'amuse à imiter les tics du roman-feuilleton. Que nous importe, puisque toutes les ficelles seront transformées en guirlandes de fleurs.
Les missionnaires de La Nouvelle Revue Française ne présentent pas tous le même agrément qu'André Gide. M. Henri Ghéon, par exemple, est peu plaisant. Sans cesse, il a recours à l'homélie. Ses jugements assument l'allure de verdicts. Et il ne termine point l'exposé de ses Directions sans menacer les sectes dissidentes des foudres de la déesse Raison.
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