LÈre nouvelle
[ANONYME.] 30 juin 1922 À quelques-uns, Les Caves du Vatican dAndré Gide, dont la Nouvelle Revue Française donne une réédition, peuvent sembler une énorme farce seulement, un peu dans le goût rabelaisien, pleine dinvraisemblances ridicules, voulues et charmantes en même temps quadmirablement agencées. Pour comprendre le livre de M. André Gide, cest Lafcadio, le héros, quil faut envisager. Adolescent bâtard, qui a eu pour pères cinq oncles, né à Bucarest, son éducation sest faite à travers les pays de lEurope dans le luxe et la fantaisie. Il ne connaît que son plaisir, en le recherchant souvent dans la contrainte. Mais il est pauvre. Voici que soudain il hérite. Que va-t-il faire ? Il jette hors dun compartiment de chemin de fer un monsieur quil ne connaît pas et qui en meurt. Crime dénué de toute raison. Geste inutile. Acte gratuit. Dès lors il a limpression dêtre libre. Ce Lafcadio, qui nous paraît dabord si étrange, nest pas très loin des précédents personnages de Gide, de lImmoraliste, de lEnfant Prodigue. Que cherche-t-il ? À échapper à la ´Maisonª, à la famille et à tout son appareil de préjugés et de conventions sociales qui entravent lindividu. Se libérer sans se dévoyer. Commettre un crime sans intérêt, sans passion, sans motif. Avec quel dédain Lafcadio repousse Protos, qui a volé les quelques billets de mille francs à la victime tombée du train. Ainsi, pour Lafcadio, la liberté suprême, cest vivre en dehors de tout éthique, nêtre ni moral ni immoral, cest lacte inconditionné, inutile comme le sont les jeux des enfants et des animaux, lacte qui a sa raison dêtre en soi. Cest là pour lui, le bonheur. Dans cette minute où il a jeté son compagnon de voyage par la portière, Lafcadio aurait pu sécrier : ´O instant, ne tenvole pas...ª Il est cependant lopposé de Faust, qui a trouvé cet instant de bonheur dans laction produite, dans la création matérielle, dans laménagement de toute une flotte de commerce. Il semble dailleurs que M. Gide, tout en ladmirant, en lenviant même pour son audace, hésite à approuver son héros ou tout au moins regrette de ne pas oser limiter. |
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