La République

 

Frédéric LEFEVRE

15 avril 1931.

 

"Israël 1931 ; Israël, Jean de Pauly, le faux pape et André Gide"

Je dédie cette histoire à Léon Deffoux, peut-être conviendrait-il de la dédier d'abord à André Gide… qui l'ignore probablement. En tout cas, c'est la première question qui se pose et elle est d'importance au point de vue de l'histoire littéraire. Quand André Gide écrivit Les Caves du Vatican, connaissait-il ou ne connaissait-il pas le Faux Pape, paru 20 ans auparavant, sous la signature de J. De Pauly, qui avait vécu l'histoire avant de l'écrire ? […] M. Gide a assez de talent pour n'avoir besoin de plagier personne, mais il y a coïncidence, surprenante rencontre et il serait tout de même amusant de savoir si M. A. Gide a eu connaissance du livre de J. de Pauly, le Faux Pape, et de l'histoire authentique à laquelle le savant hébraïsant fut mêlé et qui lui donne pour son livre une matière si riche qu'il n'eût besoin de rien inventer ni de rien transposer. Cette matière nous la retrouvons, mais appauvrie, décolorée dans Les Caves du Vatican de M. A. Gide, qui est pourtant parmi les ouvrages du grand écrivain l'un de ceux que je préfère. Je dois me hâter de faire cette réserve pour bien montrer que je ne suis pas suspect, que je ne m'amuse pas à chercher une méchante querelle à un écrivain que j'admire, mais parce qu'un problème d'esthétique d'une importance capitale se trouve posé là . C'est un aspect différent qui nous en est présenté selon qu'A.G. connaît ou ne connaît pas l'histoire de Pauly, mais au fond c'est toujours du même problème qu'il s'agit.

Vous connaissez tous le sujet des Caves du Vatican. Eh bien ! ce sujet a été vécu à Lyon, en 1895 [sic], par J. de Pauly et une foule de comparses dans des conditions autrement dramatiques, burlesques, grotesques et avec des rebondissements plus inattendus que l'imagination de l'écrivain n'a osé les concevoir. Mais j'emprunte le récit de l'anecdote à Vulliaud, en lui laissant naturellement la responsabilité de son jugement sur Les Caves du Vatican.

"À l'un des séjours de Pauly dans la ville de Lyon, se rattache un épisode de son aventure vagabonde le plus curieux de tous. Des escrocs avaient imaginé cette fable : Léon XIII a été enfermé dans les caves du Vatican par les cardinaux affiliés à la franc-maçonnerie. Un sosie de ce pontife est sur le trône de saint Pierre, sous la domination de ces geôliers rouges. Une soixantaine de mille francs serait nécessaire pour organiser une "croisade" afin de délivrer le Saint-Père. Cette somme et bien d'autres furent soutirées dans cette affaire mystico-bouffe. Or, c'est lui, Jean de Pauly, qui dévoile les manigances louches, c'est lui qui va à Rome pour promouvoir l'arrestation des aventuriers. Il court chez le pape et l'informe de l'imposture. Il s'abouche avec la justice italienne, avec la police secrète ; il dénonce enfin la vaste entreprise d'escroquerie en publiant une brochure : le Faux Pape (1895), aujourd'hui introuvable. Ne contient-il pas le nom de tous ceux qui participèrent, criminels ou dupes, au plus extravagant, au plus fol au plus drôle des abus de confiance ? Le pape enfermé dans les caves du Vatican ! Cela rappelle qu'un romancier risqua de s'emparer de cette fabulation. Son talent ne fut pas à la hauteur du sujet. Il est pitoyable de lire son ouvrage si l'on connaît l'inattendu des faits. Nous n'y trouvons pas cette atmosphère mystico-politique d'une époque déjà bien lointaine, dans laquelle vivait le principal auteur de la mystification, celui qui en fut victime, un Lyonnais crédule qui dissipait sa fortune pour l'avènement du roi, qu'il fût Chambord ou Naundorff, et pour le règne du Sacré-Cœur.

"Le romancier à défaut d'imagination, aurait dû suivre le scénario véritable où se mêlèrent hideusement des gens de sotte piété avec des historiens et des prostituées. Il fallait décrire tout ce monde où collaborent un notaire véreux, une nonne défroquée et un prêtre fripon affairés à la vente de fausses reliques en un prétendu couvent du Sacré-Cœur de Jésus pénitent, en même temps qu'à la délivrance d'un souverain pontife prisonnier des cardinaux francs-maçons. Quelle scène à reproduire, qu'elle ait eu lieu ou non, que celle de Léon XIII instruit par Jean de Pauly, de l'odieuse machination dont il est le prétexte mensonger et se contentant de sourire un peu plus qu'à l'ordinaire !"

Je vous ai entretenu l'autre jour du Moine, de Lewis, raconté par Antonin Artaud. C'est un roman de cet ordre qu'eût donné l'obéissance au réel si baroque qui fut vécu par Jean de Pauly, ses amis et ses adversaires.

Et c'eût été fort passionnant, mais pour nous la question n'est pas là et nous l'envisageons avec plus de sérénité. Le point établi de savoir si ce réel – vécu et déjà écrit – fut la matière sur laquelle Gide travailla, la discussion ne pourra s'établir que sur les droits et les devoirs de l'écrivain dans l'utilisation, l'organisation, la transposition du réel.

Ce qui serait amusant, c'est que Gide nous dise POURQUOI, s'il était au courant, IL N'A FAIT QU'UN CHOIX SI TIMORÉ DANS LES ÉLÉMENTS TRUCULENTS ET MULTIPLES QUE LUI FOURNISSAIT UNE RÉALITÉ VRAIMENT UNIQUE ? On ne peut croire que certains aient échappé à l'intelligence de Gide ; aurait-il donc reculé devant l'audace de certaines situations ? Ce serait assez inattendu et il faut chercher ailleurs.

 

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