Les Cahiers

 

FRANCOIS MAURIAC

15 mai 1914.

Je crois bien qu'au Moyen Age, on appelait sotie une pièce bouffonne. Mais c'est à dessein que M. André Gide use de ce terme impropre pour désigner son nouvel ouvrage. Sans doute a-t-il peur que nous prenions trop au sérieux ce divertissement. Il s'est fait à lui-même la gageure d'écrire un roman policier qui vaudrait surtout par l'invention et l'ingéniosité de l'intrigue. Il s'est dit qu'en prêtant aux personnages de son imbroglio de la vie, de la truculence, il ferait entrer dans la littérature le genre un peu décrié du feuilleton. Tout cela est vrai. Tout cela est vrai, pourtant je crois que nous devons chercher ailleurs le sens profond de ce livre. Gide, en écrivant Les Caves du Vatican, a essayé de créer des êtres qui ne fussent pas lui-même. […] L'immoralisme et le renoncement furent les deux thèmes essentiels de sa littérature jusqu'à ce jour. […]

Il a donc essayé de créer des êtres qui ne fussent pas lui-même. Isabelle marque un premier effort et déjà ce livre nous avait paru décevant. Les Caves du Vatican sont un plus décisif échec. Gide en doit avoir conscience, si nous en jugeons par les dernières pages si bâclées, par l'affectation du sous-titre : sotie. Il veut persuader aux autres qu'il n'a prétendu que se divertir. Mais si tous ses personnages, assez nettement coloriés, ressemblent à des poupées mécaniques, montées sur roulettes, je ne suis pas très assuré que Gide l'ait fait exprès ; le seul que nous sentions vivre a nom Lafcadio. Mais Lafcadio, c'est l'immoraliste enfant. André Gide est toujours prisonnier d'André Gide.

 

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