Le Figaro
Jacques PATIN 21 mai 1922 "Les Caves du Vatican, par André Gide" C'est bien opportunément que M. André Gide réédite cette uvre si habile à solliciter la curiosité, toutes les curiosités ; on ne saurait dire que le goût public se détourne des romans d'aventures ; tout au moins commence-t-il d'indiquer, par des signes non équivoques, qu'il ne lui déplairait point de voir plus souvent quelque souci de la psychologie se mêler à l'invention des faits. Le roman de M. André Gide, qui ne laissa point, voilà quelque dix ans, d'embarrasser certains de ses plus fervents admirateurs, séduira aujourd'hui toute une classe de lecteurs nouveaux. Il est plein d'imprévu et de fantaisie. Quoi de plus inattendu que son étrange donnée ? Le pape non point même celui d'hier ou d'avant-hier, mais celui de 1890, le fin Léon XIII a été séquestré par les francs-maçons, et, par les caves du Vatican, traîné dans quelque antique geôle du château Saint-Ange ; un de leurs affiliés porte la tiare à sa place ; il faut délivrer le vrai pape Fable ? Certes Mais d'ingénus catholiques s'y laissent prendre et versent des sommes considérables aux escrocs ingénieux qui les enrôlent dans la croisade pour la délivrance du Saint-Père : croisade toute secrète et dont la première loi est le silence. Quel feuilleton l'on pourrait déduire de là ! M. André Gide se contente du prétexte que cette belle invention lui fournit pour étudier, à la lumière d'aventures plaisantes, un certain nombre d'âmes. Ames de fantoches, pour la plupart, où les sentiments et les idées sont rudimentaires. L'un de ces fantoches est touchant : Amédée Fleurissoire, naïf provincial, ne se contente pas de verser quelque argent pour la délivrance du pape ; il accourt à Rome, subit délicieusement des mystifications grotesques et meurt assassiné dans un train. Sur le personnage de l'assassin, M. André Gide a concentré son effort. C'est un bel animal de proie lâché dans la société, que ce Lafcadio qui passe par toutes les fortunes avant d'arriver à la fortune : capable également du bien et du mal, il ne distingue pas le mal du bien ; il accomplit l'un et l'autre, tour à tour, sans raison, sans le moindre intérêt et seulement pour se plaire à soi-même ; c'est l'´immoralisteª parfait que M. André Gide nous donne à admirer non sans une sorte d'effroi. Il ne le punit point ; il lui ménage, au dénouement, l'amour d'une pure jeune fille. Dans un monde de fantoches, lui seul vit intensément de par la force des impulsions et des instincts. C'est peut-être l'enseignement du livre qui n'est point, au surplus, un roman, mais tout au plus et M. Gide tient à ce titre une ´sotieª, une impitoyable raillerie des humains. |