Georges d'Autry, Inversions, 15 décembre 1924.
Repris dans le BAAG, n° 47, juillet 1980, pp. 420-1. Voir aussi la polémique avec : Jean-Pierre Liausu, Illusions, 6 novembre 1924.
Numérisation pour l'Atag : Daniel Durosay, janvier 1997.
De manière à faciliter la référence lors d'une réutilisation, la pagination de l'édition originale dans le BAAG est restituée par l'indication des chiffres de page entre crochets droits, sur le modèle :
[5] par exemple, placé au début de la p. 5.
On a beaucoup parlé sur Corydon de M. André Gide, je dirai beaucoup trop, je dirai pas assez.
Je ne veux pas faire ici une analyse -- une étude approfondie de ce livre pensé sera donnée dans un prochain numéro -- mais rapporter les idées et les contradictions qui se sont élevées ce soir-là au « Club du Faubourg ».
Le point dominant et très soutenu fut l'état pathologique de l'homosexuel.
Est-il oui ou non un malade ?
Doit-il être considéré comme un anormal ?
Il conviendrait de donner un sens défini aux mots que l'on emploie ; et, si nous considérons qu'un savant, un poète, un génie sont des anormaux, j'admettrai que l'homosexuel est un être anormal. Le poète, le philosophe, l'artiste sont des êtres chez qui la nature a développé des qualités qui les transforment en êtres supérieurs. Ce sont donc des âmes au dessus de la moyenne, ils dépassent la normale des autres.
Mais par une bizarrerie de la nature, ce sont ces mêmes êtres qui sont enclins à l'homosexualité. Ya-t-il donc un lien si étroit entre l'homosexualité et le génie ?
Grave point d'interrogation qu'il conviendrait de dérouler, pour permettre aux « esprits droits » de regarder « l'abîme » sans épouvante.
Pour nous convaincre de cette presque-inhérence il suffit de jeter un coup d'oeil derrière nous. Ne voyons-nous pas dans les lointains le masque grave de Socrate, Michel Ange, Platon si indignement traité par la foule, Shakespeare, le grand Goethe lui-même qui berça dans ses vers la beauté d'un jeune Romain, plus près de nous Oscar Wilde, Walt Whitman, notre pauvre Lélian et le tout jeune Rimbaud.
Aurions nous assez de place pour les nommer tous ?
Devant cette multitude glaneuse, cette sélection d'âmes, convient-il de taxer de malade l'homosexuel ?
[421] Je ne crois pas, et je ne vois pas ce que la médecine viendrait faire ici avec ses odeurs de clinique.
Il convient donc de ne s'occuper que des homosexuels normaux, c'est-à-dire sains, ceux dont nous parle M. Gide dans Corydon.
Après avoir lu ces pages, et avoir trouvé sous la plume de cet habile orfèvre des documents si précieux pour la recherche de la vérité, on est heureux d'assister aux débats des idées soulevées dans tous les esprits par l'oeuvre d'un de nos meilleurs écrivains, quoi qu'en dise certain journaliste qui aboie à ses chausses pour recevoir quelque éclaboussure de sa gloire.
Je parlerai d'une dame qui ne peut admettre l'homosexualité que comme une maladie de l'esprit ; d'où sa déduction que le Corydon est un très mauvais livre, néfaste pour les esprits simples ou jeunes.
Ceci serait vraiment malheureux, et vos responsabilités lourdes, M. Gide. Je serais le premier à vous blâmer hautement si j'en jugeais comme elle.
Soyez sans crainte, Madame : on ne fait pas du jour au lendemain un homosexuel ; on ne fait jamais un inverti. Il peut y avoir révélation, mais il n'y a pas inversion. Est-il besoin de grande argumentation pour cela ? Je ne crois pas. Il suffit de voir avec quel geste qui se cabre un hétérosexuel repoussera toute allusion d'actes homosexuels. Délivré de tout préjugé, le savant, le médecin, l'homme vraiment juste et éclairé, en tant que objectif discutera et admettra la pédérastie ; mais là se borneront toujours ses conceptions, sa curiosité, sa science.
Je passe sous silence, bien entendu, l'hétérosexuel qui, ayant usé toutes les cordes de la débauche, s'adonne par curiosité, par recherche de sensations, par sadisme, à l'homosexualité. C'est lui que je qualifie de malade. Je dis qu'il n'y a pas de cas d'inversion acquise. Et non seulement Corydon n'est pas un livre mauvais, mais c'est -- ses qualités littéraires et artistiques mises à part -- un livre de toute utilité publique. Combien nombreux sont en effet ces pauvres irrévélés qui n'ont goûté de la femme que cette fine intuition, cette sensibilité plus développée qu'ils partagent avec elle, et dont les charmes amoureux échappent à leurs sens ? Jeunes, ils se mêleront à elle en tant que semblable, harmonie d'idées, de goûts, d'actions. Mais lorsque l'âge de la puberté sera venu, qu'il ressentira le besoin de caresses, ce malheureux ne connaissant pas sa nature, la vie sera pour lui une énigme. Il se trouvera en marge du grand Livre, se repliera sur lui même, jusqu'au jour où, trouvant un « Corydon » qui l'éclaire, il apprendra, s'il est temps encore, qu'il existe une société dans la Société, en harmonie avec sa nature.
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