André Desson et André Harlaire, Accords, octobre-novembre 1924, pp. 85-6.

Repris dans le BAAG, n° 46, avril 1980, pp. 236-7.

Numérisation pour l'Atag : Daniel Durosay, janvier 1997.

De manière à faciliter la référence lors d'une réutilisation, la pagination de l'édition originale dans le BAAG est restituée par l'indication des chiffres de page entre crochets droits, sur le modèle :
[5] par exemple, placé au début de la p. 5.

 

     Ce livre, est-il besoin de le dire, est un comble de toutes les vertus : courage, chasteté, et, surtout, sincérité. Cette belle sincérité, si voisine de l'hypocrisie [237] qu'elle ferait crier au sacrilège pour peu que clignent, troublés, les regards... Absolument clairs.

     Mais ce ne sont point ces vertus, trop visibles, et trop bien méconnues pour que nous en puissions douter, que nous aimons en Gide. Habituelles, et nous nous méfions toujours : il a tant d'habileté (on nous comprend, le courage de Gide, nous ne voulons pas dire qu'il est uniquement habileté, mais cette habileté, gracieux surcroît, le lui légitime...). Non ; ce qui nous étonne, jusqu'à l'admiration, c'est que cet homme si intensément et si uniquement -- on serait tenté d'écrire, mais ce serait injuste : si exclusivement -- artiste, expert à tromper (non comme un prestidigitateur qui frelate les corps, mais comme ce magicien : dès que l'erreur est nommée, elle devient vraie) ait consenti à ne pas faire d'art, et lui ait préféré, deux fois, et plus sans doute, la vérité. La vérité, infiniment moins claire que l'art. Une ombre en somme sur le pur mécanisme qui polissait le jeu des âmes, afin de les mieux préparer à posséder le monde. Nécessité des ombres quand les vient surprendre une inattendue lumière. Plus éblouissantes alors que ne le fut jamais le jour.

     Gide, cet écrivain si simple -- si facile ? oui, comme Racine, comme Pascal le sont -- le voici qui se montre subtil, joue au philosophe, au savant. Il ne nous semble pas ennuyeux : c'est une course, une joie. Oh ! qui arrivera premier ? La belle occasion de prouver à quelques jeunets, qui trouvent en leur roman annuel un titre suffisant à posséder tous les dons de l'esprit, leur ignorance et leur sottise.

     Est-ce une lutte de clarté contre subtilité ? Combien inutileŠ (Barrès, ne commença-t-on point par le trouver hermétique ? Dix avant sa mort quel pur représentant du clair génie français !). S'il faut choisir, notre incompétence est remarquable. Nous préférons jouir.

     Sans doute, Corydon ne fait-il que rappeler quelques vérités banales, méconnues semble-t-il depuis l'antiquité, et les fonder en raison serait un mince mérite (peu de livres de philosophie ou de dialectique trouvent grâce devant nos yeux). Mais n'avons-nous pas beaucoup oublié ?

 

Post -Scriptum. -- Voici encore ce qui nous plaît dans Corydon. Ce récit du premier dialogue (Corydon fait, grâce à Alexis B., la découverte de sa vraie nature), si frais, si émouvant, qui rappelle la pure histoire d'Isabelle, Gide en eût pu faire un livre. Oubliant son génie (« je vous propose, ma chère Angèle, une belle définition du génie : le génie c'est le sentiment de la ressource »), Gide le gaspille ici. Et la première partie du premier dialogue (la dissertation sur « contre coutume » et « contre nature ») n'est-elle pas admirable ?

 

Retour au menu principal