septembre 1909
CANDIDE
J'écrirai donc très simplement mes souvenirs, et, s'ils sont en lambeaux par endroits, je n'aurai recours à aucun invention pour les rapiécer ou les joindre ; l'effort que j'apporterais à leur apprêt gênerait le plaisir que j'espère trouver à les dire. J'emprunte cette phrase au nouveau volume de M. André Gide, La Porte étroite, que donnait par fragments, ces temps-ci, La Nouvelle Revue Française. Il y en a quelques autres de cette valeur au cours`de l'ouvrage et ne vous étonnez pas de ma joie à vous le dire puisqu'il vous faut tant réfléchir pour citer ceux de nos auteurs présents qui veulent bien encore écrire leurs oeuvres.
Souvenirs, dit M. Gide ; quelle gravité prête à ceux du premier âge ce Jérôme qui la rappelle et que si facilement, à l'entendre, on imagine enfant pensif avec le regard des élus à souffrir ! Adolescent déjà penché sur la vie, son âme y projette toute sa gravité et, vite aimante, pressent déjà, au delà de l'amour encore inconscient qui l'incline, une joie pure dont elle s'asoiffe. Mais Étroite est la porte et resserrée la voie qui conduisent à la vie et il en est peu qui les trouvent.. C'est Alissa aimée de Jérôme qui l'enseignera à celui-ci. Une occasion s'offre pour cette prédestinée de goûter au sacrifice : elle taira son amour, ayant surpris celui de sa soeur Juliette pour le même Jérôme ; la fierté de Juliette rend inutile le renoncement, mais Alissa n'en aura pas en vain connu l'amer délice et ne trouvera plus ailleurs de vraie félicité. Nous sommes nés pour un autre bonheur, écrit-elle à Jérôme qui ne rêve que de la joindre. Elle a trouvé la Voie où seules peuvent se maintenir les âmes disposées au devoir et qu'anime le désir du parfait. Mais de quels détachements, de quels cris à Dieu lui faut-il s'aider dans l'ascension terrible ! Son journal n'est qu'une douloureuse prière et quel coeur assez haut enviera l'extase où elle atteint à l'heure suprême, alors qu'elle n'a plus que ce murmure dans sa solitude : Jérôme, je voudrais t'enseigner la joie parfaite ! On songe à Pascal et, non sans effroi, aux zones éthérées où cette âme s'élève près de lui, et l'on saisit ce qu'il y a de nécessaire à ce qu'en elle les ardeurs d'un sang créole hérité de la mère acceptent la discipline inspirée par l'exemple d'un père puritain.
Que M. André Gide soit ici remercié d'une telle oeuvre dont si rarement est dédommagée la critique.
La petite revue Akadémos a publié ses douze seuls numéros en 1909 (v. BAAG, n° 47, juillet 1980, p. 420). Nous ignorons qui se cache derrière le pseudonyme de Candide.
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