24 juillet 1909.
Paul SOUDAY
Le roman de M. André Gide -- l'auteur des Cahiers d'André Walter -- contraste vivement avec celui de M. Paul Margueritte, et il est d'un ordre bien supérieur. Mais il tombe dans l'excès contraire. C'est un roman d'analyse, qui présente un cas singulier, très intéressant, bien qu'évidemment exceptionnel, surtout à notre époque. Une certaine froideur, une sorte de rigidité schématique, est le défaut de ce livre, d'ailleurs extrêmement distingué. J'adressais l'autre jour le même reproche -- et le même éloge à la nouvelle historique de M. Pierre Lasserre, Henri de Sauvelade. Il serait fâcheux que ceux de nos jeunes écrivains qui sont dans la bonne voie permissent à une espèce de réserve ou de timidité littéraire de les paralyser à demi, de refréner l'expansion de leur sensibilité qui, pour être gouvernée par les idées, n'en doit pas être moins vive ni moins communicative. En ce qui concerne M. André Gide, cette lacune est d'autant plus regrettable qu'elle semble impliquer une erreur de psychologie.
Cette Porte étroite, qui porte un épigraphe tiré de l'évangile selon saint Luc, est une étude d'ascétisme religieux. Jérôme Palissier, jeune protestant, aime sa cousine Alissa Bucolin, et il en est aimé. Cependant, ils ne se marieront pas, ils ne s'uniront jamais ; et c'est un journal posthume d'Alissa qui rassurera Jérôme sur la réalité de cet amour, dont il avait pu douter, puisqu'elle est morte sans y avoir cédé. Pourquoi a-t-elle usé de tant de prétextes pour l'éloigner et le décourager, pour éluder le bonheur qu'ils souhaitaient tous les deux ? Par piété exaltée, par aspiration à la sainteté, à la perfection spirituelle Par la volonté de renoncement et de sacrifice à Dieu.
Laissons les plaisantins, les primaires et les Gaudissarts crier à l'invraisemblance ou à la sottise ! La flamme du mysticisme n'est pas éteinte. On a connu de telles âmes ; on en peut connaître encore. Elles ont une noblesse qui commande le respect et l'admiration ; elles goûtent des joies austères qui exciteraient peut-être l'envie, si l'on était capable de les imiter. L'amour de Dieu les embrase d'une fièvre sublime, qui dépasse toutes celles de l'amour profane.
Malheureusement, M. André Gide n'a pas cette éloquence passionnée, ni cette tendre émotion, qui rendent si merveilleux -- et si intelligibles -- les ouvrages des grands mystiques ; d'une sainte Thérèse ou d'un Pascal. M. André Gide ne vibre pas ; il est glacé, et même un peu morose. Son héroïne cite les Ecritures, Jérémie, saint Luc, etc... Mais elle semble débiter un prêche de quakeresse, au lieu d'être dévorée par la folie de la Croix. A cause de ce ton gourmé, on est tenté, par instants, de la juger inhumaine, plutôt que surhumaine. Elle désoblige un peu, et surtout on la comprend mal. Contre un sentiment comme son amour pour son cousin, seul un autre sentiment encore plus puissant peut lutter. Elle l'indique, elle ne l'exprime pas. Elle répète le mot de saint François d'Assise : « Mon Dieu ! Mon Dieu ! e non altro ! ». Il fallait développer ! Son coeur brûle, évidemment, car une sèche et discutable notion de devoir ne suffirait pas à expliquer son immolation ; mais son langage [91] reste aride et compassé. M. André Gide a oublié qu'il y a des sujets où le lyrisme est une forme de l'exactitude.
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