Les Marges

 

Jean VIOLLIS

octobre 1909

     

 

     On connaissait M. André Gide comme un essayiste adroit, comme un moraliste subtil et paradoxal. Il aimait les jeux du style et de la pensée, et ce qu'il y avait d'un peu recherché dans cette prédilection ne nuisait pas à son mérite. Beaucoup pensaient que M. Gide resterait littérateur raffiné, distant, plus soucieux de se récréer que de toucher les autres. Et voici qu'il publie un roman tout pénétré de sensibilité ; la surprise est des plus heureuses.

     La Porte étroite  est un roman psychologique, dont l'art discret fait songer à M. Boylesve. Même émotion secrète et contenue, même mesure, même justesse, même distinction. Alissa Bucolin a de la parenté avec la Jeune fille bien élevée et Bernadette de Chanclos.

     Vous comprendrez son tourment, quand vous saurez qu'elle est fille d'une créole brûlante et langoureuse, et qu'elle est élevée dans un milieu de protestants rigides. Toutes les contradictions de sa nature passionnée, jetée violemment vers l'amour, mais contrariée par des scrupules non moins ardents, s'expliquent par cette double influence qui la déchire et qui la brise. On lui a dit ces paroles du Christ : « Efforcez-vous d'entrer par la porte étroite, car la porte large et le chemin spacieux mènent à la perdition. » Et par cette porte étroite elle cherche l'accès auprès de son cousin qu'elle aime à mourir. Tantôt elle s'écrie : « Seigneur, gardez-moi d'un bonheur que je pourrais trop vite atteindre ! » et tantôt elle soupire : « Combien heureuse doit être l'âme pour qui vertu se confondrait avec amour... ! »

     M. André Gide a su envelopper ce drame intérieur d'une tendresse irrésistible et d'une émotion qui ne cesse pas. Sans exagérations, sans faux éclats, sans recherches trop compliquées, il suit pas à pas les détours de cette petite âme douloureuse. Il possède cette qualité rare qu'est le tact.

     Ajoutez que son livre est d'une jolie langue, où l'on ne sent que rarement les habiletés un peu froides de Paludes  et d'Urien.

     Vraiment, après cette lecture, il y a des scènes qui, par leur délicatesse et leur force de pénétration, vous restent imprimées dans le coeur : celle où l'enfant s'échappe, un jour que sa tante créole le caresse trop vivement, celle où Juliette échange des phrases avec Jérôme dans le jardin d'hiver, celle où Alissa offre au jeune homme sa croix d'améthyste... M. Gide trouvera des amis pour assurer que tout cela ne vaut pas un acte de Saül : qu'il les laisse dire.

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