La Revue nouvelle
Gui Bernard 15 février 1927 André Gide.Si le grain ne meurt. (N.R.F.).Il semble d'abord difficile d'émettre sur cette oeuvre un jugement définitif et impartial. Elle nous séduit d'abord par son ton sincère. Puis, après quelque réflexion, l'aveu trop répété de cette sincérité nous semble le prétexte et la clef d'un choix. Ce choix des faits racontés nous renseigne autant que les faits eux-mêmes sur la personnalité de M. Gide. Il peut paraître paradoxal d'aborder l'étude de Si le grain ne meurt sous cet angle très aigu. Mais c'est bien, il faut le reconnaître, dans la recherche synthétique d'une personnalité que réside l'attrait immédiat exercé sur nous par l'oeuvre d'André Gide. En ouvrant chaque nouveau livre de Gide, notre première attitude est en effet celle du psychologue devant le nouveau document qui l'aidera à poursuivre la résolution d'un difficile et passionnant problème. C'est dans ce souci d'échapper à un jugement stable par une fuite systématique, mais subitement imprévisible -- semblable à la course en zigzags de l'homme poursuivi par les balles de l'ennemi --, c'est dans ce souci auquel s'ajoute la joie positive de surprendre que se trouve contenue la source féconde de son génie. Cette mobilité permet à l'écrivain de toucher mille aspects de la personnalité figée dans mille individus différents et aussi de les entraîner en les unissant dans sa course hésitante et folle. D'autre part, ce perpétuel changement masque évidemment une certaine continuité intérieure. Et l'état de « disponibilité » reste malgré tout inséparable de ce qui l'a engendré. En apprenant la publication complète de Si le grain ne meurt, nous espérâmes savoir enfin en quoi consiste la solution de continuité des oeuvres précédentes, de connaître leur livraison, c'est-à-dire la personnalité d'André Gide. Nous ne fûmes point déçus. Les trois petits volumes contiennent bien le plan de ces couloirs fuyants, de ces chemins tournants, de ces impasses dans lesquels nous avait menés jusqu'alors André Gide. Nous découvrons enfin la vérité, et nous embrassons en même temps d'un seul coup d'oeil une grande partie de l'humanité. Le mal se dévoile : nous apercevons la terrible dissociation entre l'esprit et la chair, entre l'amour et la jouissance. Tout un aspect de la Société, tout un milieu s'anime dans ce livre et, à travers les méandres d'une adolescence maladive et inquiète, nous suivons peu à peu l'origine et les progrès du mal, nous pouvons espérer en trouver le remède. Si le grain ne meurt est donc avant tout un document humain. Son importance est considérable. S'il n'apporte aucun réconfort, aucune aide positive, ce livre détruit ce qui est mauvais et laisse la place pour construire. Il montre les défauts d'une société et ruine un mode d'éducation. Ainsi apparaît la grande portée humaine de l'oeuvre. En considérant le livre de moins haut, nous pourrons dire aussi qu'il abonde en silhouettes divertissantes, très habilement dessinées (beaucoup d'entre [240] elles éclairées sous une lumière de caricature et animées par une foule de scènes aux détails charmants), en documents sur des écrivains contemporains (certains critiques jugeront d'ailleurs seules intéressantes ces pages anecdotiques). Mais il y avait lieu avant tout d'insister sur la valeur humaine de l'oeuvre -- valeur qui l'égale peut-être à celle des Confessions --, et de féliciter M. Gide d'avoir osé publier ces mémoires (d'ailleurs, s'il n'eût osé les publier de son vivant, qui aurait osé les publier après sa mort ?). Le geste de M. Gide, s'il n'était soutenu par ce plaisir de la surprise qui enlève chez lui une pleine signification, même à la notion d'acte gratuit, apparaît héroïque, du moins à l'heure présente. Il s'expose ainsi à l'incompréhension d'un grand public qui ne verra dans cette oeuvre qu'un cynisme et une audace en quelque sorte gratuits. Sans apercevoir leur conséquence immédiate et bienfaisante dans le monde moral. Et de cela il faut remercier M. André Gide. De manière à faciliter la référence
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originale dans le BAAG est restituée par l'indication
des chiffres de page entre crochets droits, sur le modèle : Repris dans le BAAG, n° 50, avril 1981, pp. 238-40.Numérisation : Bernard MÉTAYER, pour l'Atag, août 1999 |
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