Zarathoustra
Jean REVEL janvier 1929 SI LE GRAIN NE MEURT, par André Gide.
En général les souvenirs de l'enfance et de l'adolescence que nous ont laissés les écrivains français se présentent sous un aspect gai, rieur, frais ; l'enfance y apparaît vraiment comme l'âge tendre de la vie. Ainsi les Pierre Nozière d'Anatole France sont une suite d'anecdotes gracieuses mais assez mièvres et sans réalité profonde. Au contraire Si le grain ne meurt n'est pas un ensemble de badinages enfantins. André Gide raconte tout simplement sa vraie jeunesse. Ce n'est pas par le charme qui s'en dégage mais par sa sincérité que ce livre scintille. Tous les souvenirs réels y ont place, les pénibles comme les gais. Ils sont d'ailleurs plus nombreux les tristes souvenirs : l'enfance n'est pas si rose ! Nous y voyons un André Gide torturé par la peur du ridicule comme à ce bal masqué où il rougit sous le bonnet dont on l'a affublé. Certes aucun souci de se faire valoir, un amour de la vérité comme on n'en rencontre pas -- surtout chez nos [230] habiles « hommes de lettres ». André Gide se montre -- et dans les souvenirs de jeunesse encore plus dans ceux d'enfance -- d'une franchise étonnante, d'une liberté qui force l'admiration. Et le style s'adapte exactement à la simplicité de la pensée. Une écriture pure, sans apprêts, aucune recherche, pas même de l'ordre chronologique des faits. Gide « ne compose pas, il transcrit ses souvenirs comme ils viennent ». André Gide écrit : « Je sais de reste le tort que je me fais en racontant ceci et ce qui va suivre... mais mon récit n'a raison d'être que véridique. » Non, Gide, vous ne vous êtes pas fait tort en livrant au public ce récit véridique ; au contraire, cette oeuvre nous apprend à vous connaître, à vous apprécier mieux, et nous force à vous aimer. Seuls ceux qui vous considéraient comme un « littératé » peuvent être surpris de ce livre. Pour nous, vous ne vous faites pas tort quand vous écrivez que vous n'étiez qu'ombre, laideur et sournoiserie. Au contraire nous trouvons ici l'homme sans apprêt et nous vous aimons mieux sans ces complaisantes parures d'innocence dont s'embellissent certains. Parce que vous êtes humain, si humain ! Repris dans le BAAG, n° 50, avril 1981, pp. 229-30. Numérisation : Bernard MÉTAYER, pour l'Atag, août 1999.
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