L’Éclair (?)
27 février 1926
Léon Treich
Les Mauvais Maîtres
Sous ce titre, emprunté à Jean Carrère, M. Camille Mauclair
reprend, dans L’Éclaireur de Nice, la campagne qu’il a amorcée
dans la Dépêche de Toulouse et que nous avons signalée en son
temps. Il s’agit, on le sait, des derniers romans de Marcel Proust
et d’André Gide, Albertine disparue et les Faux-Monnayeurs.
Voici la conclusion de l’article : Or donc, Gide et Proust sont des hommes de grand talent. Mais que font-ils de leur talent ? Un moyen de pourrir l’âme d’autrui. Je hais cela. Trente-cinq ans de littérature m’ont habitué à apprécier le savoir-faire, et les rouages les plus secrets de ma profession. Mais devant un tel emploi du talent je redeviens brutalement simpliste et même philistin. La nature, qui a sa morale, se charge de punir les aberrants sexuels : elle a son verdict, qui s’appelle la paralysie générale, avec toutes ses horreurs. Mais faire servir le talent à de semblables propagandes, c’est une faute contre l’honneur de notre état, et j’estime qu’il appartient aux écrivains soucieux de cet honneur de dénoncer hautement cette faute. Elle souille le but même de l’art d’écrire. Quand un être a reçu du destin le don précieux, merveilleux, de pouvoir exprimer dans une belle forme les pensées que tant d’êtres sensibles et généreux souffrent, faute de cette forme, de ne pouvoir formuler, il a charge d’âmes, il doit rester noble, il doit s’élever et élever les autres. Dans sa gratitude d’avoir été doué de ce talent magique, il doit être obsédé par l’idée de le mériter sans cesse en épurant son propre caractère et en tâchant de faire du bien. L’art est un moyen incomparable de former des consciences. En user pour les avilir, pour remuer en elles les velléités mauvaises, j’appelle cela une sorte de triste crime. Que des hommes le commettent en y employant toutes les ressources du style et de la composition au point de pouvoir être appelés techniquement des maîtres, ce sont de mauvais maîtres, coupables et putrides. Voilà
qui est sévère. Camille Mauclair — qu’on ne tient point pour bégueule (il
publiait récemment Étreindre, où l’on trouve plus d’une page
ardente) — remarque qu’en France Marcel Proust
et André Gide passent pour des maîtres de la jeune génération, qui
les proclame ses éducateurs en des termes ultra-dithyrambiques. Marcel
Proust, peu ou point lu jusqu’à la veille de son décès, est l’objet
d’un véritable culte. Il est dieu, il est tabou. Les plus illustres
noms de la littérature française semblent à peine dignes d’être comparés
au sien. La moindre restriction dans la louange semble une injure
à sa sublime mémoire. Gide est plus discuté, mais passe pour un styliste
impeccable et un homme de pensée riche et profonde. Le snobisme, comme
l’élite, a adopté ces deux romanciers, et les montre avec orgueil
aux meilleurs étrangers désireux de savoir où en est intellectuellement
la France. A
l’étranger, les Faux-Monnayeurs ont « embarrassé beaucoup de critiques qui, jusqu’ici
adulaient Gide » — à quoi il sera permis de s’étonner que ces critiques
aient tant tardé à découvrir, si l’on ose dire, Gide ; avant
les Faux-Monnayeurs, n’y
avait-il pas eu Corydon ? Notamment
en Suisse et en Bochie, Gide était divinisé. Je ne sais ce qu’en disent
les Boches, chez lesquels le vice infect qu’il prône a toujours été
fort goûté ; mais la confusion des honnêtes Suisses est tout
à fait amusante. L’idole les répugne, et ils cherchent comment le
dire sans trop le dire. Citons
encore ceci : Le roman de Proust est un exposé subtil, maniéré, fleuri, des pratiques de Gomorrhe. Celui de Gide est glacé, visqueux, cruel, et tout imbu de la joie perverse de salir. Je crois qu’il sera impossible aux lectrices les plus indulgentes de Proust, public de femmes lettrées et bien nées, de laisser lire par leurs filles ce manuel de saphisme, si délicatement qu’il soit présenté. Et je crois qu’il est impossible à n’importe quel homme propre et intelligent de terminer la lecture de Gide sans un complet dégoût. L’ayant pensé, je l’ai dit. Et, ajoute aussitôt Camille Mauclair, je ne suis nullement pudibond, ennemi de la vérité de la vie physique, et partisan de la littérature vertueuse, édulcorée et fade. Les
deux articles de M. Camille Mauclair pourront inaugurer brillamment
l’enquête ouverte par les Marges sur l’homosexualité dans la littérature d’après-guerre.
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