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22 Septembre 1932
Anonyme
Je n’en croyais
pas mes yeux, mais voici la nouvelle que nous apporte les journaux d'Europe.
André Gide, le pur écrivain français, se serait converti à la religion
du plan quinquennal, le doux individualiste adorerait le moloch soviétique.
On a déjà eu
l'occasion de signaler l'évolution de M. André Gide vers le bolchevisme.
Il est permis de dire aujourd'hui que la conversion bolcheviste de cet
écrivain de premier plan est complète. En effet, en son fascicule du
1er septembre la Nouvelle Revue française publie les
lignes suivantes de M. André Gide, lignes qui sont extraites de son
journal :
« Je
voudrais crier très haut ma sympathie pour l’U.R.S.S., et que mon cri
soit entendu, ait de l'importance. Je voudrais vivre assez pour voir
la réussite de cet énorme effort ; son succès que je souhaite de
toute mon âme, auquel je voudrais pouvoir travailler. Voir ce que
peut donner un État sans religion, une société sans cloisons. La religion
et la famille sont les deux pires ennemis du progrès. »
M.
André Gide voit donc dans l'abolition de la famille et dans la suppression
de toute religion le plus grand progrès. Dans ces conditions il était
évidemment mûr pour le bolchevisme. Constatons le fait sans le commenter.
On savait que
l'auteur des Faux-Monnayeurs n'était pas très tendre pour la
famille et pour la religion, mais, sans entamer ici un long débat, on
pouvait croire qu'il en avait surtout à la tartuferie sous ses deux
formes les plus odieuses. De là à vouloir leur destruction, quelle marge !
André Gide l'a-t-il franchie ?...
Encore qu'on
lui crût plus de mesure, admettons-le. Il reste que cet homme, qui se
sera toujours gardé de prendre parti et a plus d'une fois raillé les
fascismes de droite, forme des vœux pour une tyrannie de gauche.
Déniant l'autorité
sous ses formes religieuse et familiale, il en vient à plier le genou
devant le despotisme et l'esclavagisme. Lui qui s’affirmait non prévenu
— belle position pour un esprit, la seule sans doute — le voilà tout
influencé par une révolution, dont il n'a lui-même rien vu. « Je
ne veux pas savoir, disait-il à peu près autrefois, si le sable est
chaud, je veux le sentir avec mes pieds nus. » A-t-il mis ses pieds
dans les pas sanglants de Lénine pour se décider sur la vertu de l’U.R.S.S ?
Mais ce cri
de sympathie vers les Soviets me rappelle un autre de ses propos, où
il reconnaissait que tout se trouvait dans Nietzsche. Il refusait seulement
son adhésion entière au Zarathoustra. Serait-ce parce que le
solitaire de Sils Maria y désigne l'État comme la mort des peuples ?
« L'État,
dit-il, c'est le plus froid de tous les monstres froids : il ment
froidement et voici le mensonge qui rampe de sa bouche : « Moi,
l'État, je suis le peuple ».
« Ce
sont des destructeurs, ceux qui tendent des pièges au grand nombre et
qui appelle cela un État : ils suspendent au-dessus d'eux un glaive
et cent appétits. »
« Une
confusion des langues, du bien et du mal : je vous donne ce signe
comme le signe de l'État. »
N'est-ce pas
la prophétique condamnation de l'étatisme soviétique ? Et Nietzsche
ajoute :
« Maintenant
encore les grandes âmes trouveront devant elle l'existence libre. Il
reste bien des endroits pour ceux qui sont solitaires ou à deux, des
endroits où souffle l'odeur des mers silencieuses. »
Je ne pensais
pas qu’André Gide désignerait à ses disciples l’U.R.S.S. comme un de
ces endroits. Pour moi qui l'ai aimé, c'est une grande peine de le désavouer.
Et ceci n'est pas suffisant. |