Les Cahiers de l’Université populaire

 

Edmond Pilon

 

Voila un bel écrivain. Il y en a peu qui se soient, dans les nouveaux venus, avec autant de volonté que celui-là, dégagés de l'ancien symbolisme. Du Traité du Narcisse aux Nourritures terrestres, il y a tout un monde !

D’abord « tout se jouait dans l’âme. » Puis, cette âme s’est enfin ouverte et, dans l'ardent désir de se fondre à l’Univers, elle a, dans les Nourritures, tenté de tout apprendre et de passionnément aimer tous les aspects : les jardins et les fermes, les arbres, les fruits, les monts, les fleuves et tout ce qui dans la nature offre quelque beauté, quelque attrait à connaître. Dans l’Immoraliste, dans Candaule, elle a rompu avec le factice des croyances, des préjugés, des dogmes. Elle est maintenant comme un candide et pur miroir ou tout ce qui germe et palpite, tout ce qui vit au monde, s'incline et se contemple. Gide s'est, depuis, promené dans les campagnes, il a aimé celles de France qui sont trempées de pluie ou luisantes de soleil, mais il a aussi aimé l'Algérie, sa végétation, son ardeur douce et tiède et le petit goût piquant de ses fruits acides.

Paysagiste il joint, par Virgile, Hafiz, et même, dans les plus chaudes descriptions africaines, s'applique à demeurer classique dans la forme, et, dans l'idée, limpide. Orientaliste, il vise, au contraire des peintres, à la sobriété, n’emploie pas, à la manière de Fromentin, d’uniques couleurs chaudes, mais sait, avec art et mesure, les fondre et les mêler. Son Algérie, ce n’est pas très loin de la Sicile qu’elle est située ! Les phrases, ici, sont pures et d'un beau contour, épousent étroitement la forme douce des collines, la cime des oasis, l'ondulation des sables. La monotonie du désert Gide l’a dite, sa sécheresse aride et les mouvantes teintes de sa coloration. Il a, dans les douars, croqué les marchands, les bouviers et vu, dans les fêtes, de curieux éphèbes que suivent leurs galants. La prière du muezzin l’a ému. Biskra, Touggourt, Bou Saada, Alger, Blida, enfin Biskra, voilà de belles étapes. Gide les a toutes franchies et le rire des Ouleds, le tourment secret des soldats, la beauté des femmes et des enfants, l'aspect des Souks, la douce gravité de l'heure, il les a su fixer sur ces « feuilles de route. »

Ce sont là, à vrai dire, des notes, des rêveries sous les palmes, peu de chose : un troupeau, à El Kantara, gagnant l'abreuvoir, les maisons blanches de Tunis illuminées, le soir, « intimement comme des lampes d’albâtre », l’argile blonde des sables, l’aspect d'un marché à Alger, des vendeurs de figues à Tizi-Ouzou, un groupe d'Arabes près la margelle d'un vieux puits, des rues de plaisir à Biskra, des petits cafés maures. Mais tout cela est croqué finement, s'assemble et se complète et, de tant de tableaux épars, courts mais parfaitement justes, naît un heureux ensemble, une grande et belle œuvre. Mené par Virgile, le Dante a connu les Enfers, mais Virgile et Gide, dans ce clair Amyntas, se sont rencontrés à la limite extrême de cette terre des pasteurs. « Si Damon pleure encore Daphnis, si Gallus Lycoris — qu'ils viennent, écrit Gide, je guiderai leur pas vers l’oubli — Ici nul aliment à leur peine ; un grand calme sur leur pensée — Ici, plus voluptueuse et plus inutile est la vie, et moins difficile la mort. » Ici, toutes choses sont amies, les caravanes sont belles sur le ciel du soir, et de ce livre-ci, tout l’imprégné du sel et du miel algérien, émane la très pure expression d’un poème.

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