Paris Soir

29 mai 1924

 

« Les Académisants »

 

Sont-ce vraiment des « jugements » sur ses contemporains que M. Henri Massis formule dans ces critiques ? Le jugement réclame une certaine absence de partialité, une vue objective, et l'on sait que M. Henri Massis aime assez pénétrer dans la mêlée, non rester au-dessus, qu'il regarde plutôt de l'intérieur, en partisan, que de l'extérieur contemplateur serein — en juge. On sait la véhémente querelle contre M. André Gide ou l'Immoraliste, comme il s'exprime, lequel est habité par l'esprit démoniaque. Cet esprit démoniaque de M. André Gide; est en opposition avec l’esprit divin ou, plutôt, chrétien de M. Henri Massis ; car M. Massis est chrétien ou, mieux encore, catholique. Et sa certitude, sa vérité, dont il ne cesse d'user et d'abuser, au nom de laquelle il juge — comme il dit — condamne et tranche, est la vérité des Pères, qui a fait ses preuves, et comment !

« Si nous refusons notre cœur à un Anatole France, écrit-il, sous ce prétexte qu'il déçoit la faculté d’amour que nous tenons pour le signe des grandes intelligences et la mesure des grandes âmes, allons-nous l'abandonner à un Romain Rolland parce qu'il simule avec véhémence tout le désordre des passions et le sublime de la foi ? » Voilà, par exemple, un des « arguments » de M. Henri Massis. Pour lui, Anatole France déçoit notre faculté d'amour, tandis que ses auteurs, Xavier de Maistre par exemple, ou, pour opposer un contemporain à un autre contemporain, M. Paul Bourget, ne la déçoit pas.

M. Henri Masses ne démontre pas ; il affirme. C'est l'homme de l'impératif catégorique à jet continu, ce qui ne l'empêche pas d'avoir par instants des vues très justes, mais de détail.

Il écrit, par exemple : « L’œuvre de M. Gide est pour ainsi dire sans événements et comme à l'abri du réel, des conditions du réel. D’où l'ennui, l'indicible morosité qui s'en dégage, quelque délectation qu'on puisse prendre aux savantes flatteries de son art »

En somme la lecture de ces « jugements » irrite et flatte tour à tour. C'est un excellent exercice pour aiguiser et contrôler son propre sens critique lorsque l'on croit encore à une critique objectivité dans la manière dont on doit regarder les œuvres de ses contemporains. Nous disons « une certaine objectivité » car toujours la culture, la position philosophique, la classe sociale morne et, surtout, l’éthique personnelle interviennent dans nos jugements. Et il faut du moins savoir gré à M. Henri Massis d'avoir eu le courage d'indiquer nettement ses positions.

MM. Georges Duhamel et Julien Benda ont, avec MM. André Gide et Romain Rolland l’honneur de se partager l’aversion de sa critique.

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