Le Christianisme au XXe siècle

6 novembre 1924

 

Arbousse-Bastide

 

 

Jugements, par Massis

 

Ce livre de M. Massis a déjà été signalé au public protestant dans quelques-unes de ses revues. Il vaut la peine d'en parler dans un journal aussi répandu et qui s'attache à tenir « notre » protestantisme (comme nous nous plaisons à l'appeler en famille) au courant de l’effort catholique de pensée et d'action au sein de notre pays.

Le titre donne le caractère général de l'ouvrage. M. Massis ne publie pas des « impressions ». Il ne tente pas une critique impartiale de la littérature contemporaine. Il porte des jugements qui tombent, tels des couperets.

Son regard de critique n'embrasse pas tout l'horizon littéraire que peut offrir notre époque. Il choisit ses victimes. Ses arrêts visent d'irréductibles ennemis : un protestant, André Gide ; deux idéalistes dont la philosophie est teintée de paganisme ; Romain Rolland et Duhamel ; un Juif : Benda.

Massis est de l'autre bord. Il se pose en défenseur de l'Idée, de l'Intelligence, de la Raison, dont il croit voir l'incarnation dans l'esprit catholique et latin. Il défend la recherche de la vérité pure, la nécessité du système, la logique dont est pétrie la théologie romaine, dont est tissée la scolastique du Moyen-Age. Il défend la suprématie de la pensée pure contre son envahissement, sa désagrégation par le romantisme, fils de Rousseau. Il se proclame l'ennemi de tous les pragmatismes, fruits de l'esprit anglo-saxon ; de l'intuitionnisme bergsonien qui trahit, selon lui, cet envahissement du romantisme dans la pensée ; et l'ennemi de l'esprit oriental.

Il flétrit cet engouement actuel de l'occident en général, et du protestantisme en particulier pour tout ce qui nous vient de l'Inde. Il y voit un danger : celui de la fin de l'esprit authentiquement latin, romain, par l'immixtion d'un mysticisme fumeux et inconsistant.

Sa thèse qui n'est point dépourvue de sens, loin de là, et qui touche en plusieurs points à celle des Ghéon et des Maurras, est soutenue dans la critique de ses adversaires avec une sûreté de vue que la presse catholique qualifie de sans exemple.

Si l'on tient à ôter un instant les œillères qui nous font tourner en rond dans le cercle restreint de « notre » protestantisme, il faut lire Massis.

Ce n’est point que nous voyions en lui l'oracle infaillible, ou que nous considérions André Gide qu'il abat comme l'interprète assermenté du protestantisme, — Entre Gide et le christianisme protestant, il y a de la marge ! — Mais nous estimons que ce Massis avec ses jugements parfois outrés, avec son parti-pris évident, avec son intransigeance et grâce à cela, souligne d'un trait brutal les déficits de la « pensée protestante », nous met en garde contre l'idéologie vague, l'individualisme outrancier, la phraséologie orientale, la dépréciation de l'intelligence, le flirtage avec les nouveautés attrayantes, qu'elles viennent de la chambre spirite, de la loge maçonnique, ou du cerveau d'une somnambule.

A travers ces critiques acerbes, c'est un hymne à l'Avenir de l'Intelligence que chante l'auteur et dont nous avons à faire notre profit.

Mais pourquoi Gide en particulier comparait-il à la barre de Massis ? Et que lui reproche-t-il ? Bien des choses. Sa prétention à vouloir influencer, à devenir le Maître dont les jeunes de notre génération seront les disciples ; son sens « démoniaque » ; entendez par là son habileté à inverser l'Evangile, à dénaturer l'enseignement, l'esprit de Jésus ; son puritanisme originel à quoi Massis fait remonter (à tort) la perversité gidienne en matière religieuse et cet amour de l'anormal ; son mépris de la raison, son manque de système, en quoi il voit une apologie de l'anarchie intellectuelle. Toutes critiques auxquelles en tant que chrétiens, en tant que protestants, même et surtout, nous ne pouvons pas ne pas nous associer (excepté pourtant lorsqu'elles font du protestantisme la source de l'immoralisme de Gide).

Il n'est pas plus tendre à l'égard de R. Rolland et de Duhamel. Et il est de ces remarques à leur sujet que l'on sent frappées au coin de la vérité. Il hait chez l'un le « dogmaticien sans dogme », la « religion sans foi », le mysticisme extravagant ; chez l'autre cet évidement du contenu des formules chrétiennes (apostolat, foi, grâce) qu'il remplit du produit de sa propre imagination divagante.

R. Rolland est le « rêveur exalté » ; Duhamel, le « verseur d'illusions »...

Moins intransigeants que Massis, admirons le génie littéraire d'un chacun ou ce par quoi chaque personnalité reste attractive. Sachons pourtant entendre du camp opposé un appel à la volonté d'être plus fidèle à notre tradition protestante qui est essentiellement latine et française, celle des Calvin, des de Bèze, hommes de foi, d'action, et de « pensée ».

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