La Revue Universelle

15 janvier 1933

 

Henri Massis

[…]

Le trouble, le gâchis engendré par le « moralisme » de Rousseau, apologiste de sa propre vertu et législateur de sa propre loi, les falsifications de sentiments et d'idées qui en résultèrent, l'atteinte qu'en reçurent les valeurs de jugement, tout cela est autrement grave, autrement pernicieux que les peintures plus ou moins immodestes où il a dévoilé les aspects les moins recommandables de son âme. Ainsi de Gide. C'est bien à tort qu'on suppose que le procès que nous lui avons fait est un procès d'immoralité, le procès fait à Baudelaire, à Wilde, à Rimbaud, par exemple. Il s'agit bien de cela ! C'est le procès fait à Rousseau, c'est-à-dire à un réformateur. Gide est ce réformateur, en ce que sa critique porte atteinte à l'unité de la personne humaine, à l'organisation même de l'être spirituel, et que, pour se justifier, il éprouve le besoin de renverser les lois de la nature, d'y substituer d'autres lois, une évaluation nouvelle. Ce que Gide met du même coup en cause, c'est la notion même de l'homme sur laquelle nous vivons, celle où se fonde notre idée de la civilisation, et tout autant que la morale, la métaphysique se trouve ici engagée. Comme le disait Baudelaire qu'on aime en ces matières avoir de son côté : « Il n'y a qu'un art pernicieux, c'est celui qui dérange les conditions de la vie... et la première condition pour faire un art sain est la croyance à l'unité intégrale. »

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