Le Voyage d'Urien, qui rend compte de l'évolution
de l'esthétique du jeune André Gide est une oeuvre riche et ambiguë.
Soumis en 1891 aux influences symbolistes, il semble pourtant que
Gide n'adhère déjà plus totalement à ce credo au moment de la rédaction
du Voyage d'Urien, mais qu'il y développe une réflexion sur
l'écriture. Si elle est profondément symboliste, il n'en demeure
pas moins que l'oeuvre renferme en elle les prémisses de l'ironie
gidienne, qui sera pleinement développée dans Paludes en
1895. La problématique de cette étude envisage les débuts du cheminement
littéraire d'André Gide, et plus particulièrement sa remise en question
progressive des valeurs symbolistes. Tout d'abord Gide est marqué
par l'empreinte symboliste qui couvre le paysage littéraire de la
fin du XIXe siècle. La première partie de l'étude développe, au
travers d'un rappel historique, les conceptions de l'artiste et
son rapport au monde et à la littérature. Elle inscrit Le Voyage
d'Urien dans le contexte littéraire de l'époque et met en évidence
les principales influences auxquelles le jeune Gide a été soumis
: Schopenhauer, Mallarmée. Le symbolisme est un mouvement difficile
à cerner et se distingue mal de la décadence. L'on peut déceler
une sensibilité poétique propre à la fin du siècle : la poésie se
libère, le langage se fait musical et l'esthétique de la suggestion
est prônée. Le Voyage d'Urien rend compte de cette sensibilité
symboliste au travers d'un périple maritime et initiatique. Dans
une seconde partie, l'on s'attache à montrer la spécificité du Voyage
d'Urien, en étudiant en quoi il se distingue des oeuvres antérieures
de Gide. Au travers des particularités thématiques et formelles
de ce récit, se prépare l'avènement d'un regard ironique porté par
Gide sur son oeuvre et sur l'esthétique fin-de-siècle plus généralement.
Le voyage, fictif, montre que l'art est un refuge face au monde
réel, que l'artiste préfère l'univers clos de la littérature aux
désillusions du réel - attitude foncièrement symboliste. En outre
Gide y développe des thèmes profondément fin-de-siècle ; il recourt
à des images symbolistes, à un vocabulaire recherché et à un style
riche en métaphores et en symboles. Cependant Gide jette un regard
autoréflexif sur son écriture en utilisant le principe de l'ironie.
Un autre discours se développe en filigrane : celui du jeu avec
les codes et de la remise en question du matériau symboliste. Finalement,
Le Voyage d'Urien est une initiation des âmes vers le sacré.
Seuls sept élus parviendront au terme de leur périple. Mais la quête
aboutit à un non-sens. Dans cette initiation, tout est dérisoire
: l'initiatrice Ellis, les épreuves et le but final. Finalement,
plutôt qu'un voyage, il s'agit d'une errance à laquelle sont soumis
Urien et ses compagnons. L'initiation n'aboutit pas et Le Voyage
se termine sur l'inachèvement et l'insatisfaction. Mais le voyage
dans l'inconnu représente aussi l'itinéraire de l'écriture poétique,
l'épuisement narratif ou l'incohérence d'un récit cyclique. En refusant
toute spiritualisation de l'entreprise poétique, Gide se tourne
peu à peu vers une esthétique de l'ironie (Paludes) puis
de la sensualité (Les Nourritures terrestres). Après le repli
sur soi dans le monde clos de l'art, Gide s'ouvre à la vie. C'est
en empruntant la voie mystique du Voyage d'Urien que Gide
réussit à sortir de l'impasse de l'idéalisme. Le Voyage entame
la lente libération de l'écriture gidienne.
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