L’Action française
F.C.
Si
les ouvrages de M. André Gide ont un caractère bien marqué, aucune
expression n’est moins spontanée et c’est à force de métier que l’auteur
donne à son récit un certain air aisé. Un récent petit volume, intitulé La Symphonie pastorale,
est dans ce genre tout à fait réussi : M. André Gide choisit un
sujet tout à fait approprié à sa manière d’écrire. En 150 pages d’un
petit format, un pasteur protestant découvre une enfant infirme, la
recueille, l’instruit, l’aime, croit en être aimé et la voit mourir
au moment même où cette enfant aveugle-née, ayant enfin les yeux ouverts,
s’aperçoit que c’est le fils qu’elle préférait au père. Mais narrer l’incident est trahir l’auteur, bien plus soucieux
de tenir à demi sous le voile ce mouvement d’une passion qui naît presque à l’insu
de celui qu’elle occupe, que de ressasser pour ses lecteurs l’éternelle
histoire. Le sujet est parfaitement choisi parce qu’il permet à M.
André Gide de se tenir sans cesse en marge de l’émotion. Il y a certains
dessins de M. Ingres dont la perfection est absolument insupportable
pour tous ceux qui haïssent la sécheresse. Ce petit livre de M. André Gide
a la perfection d’exécution de certains dessins de M. Ingres. C’est
la vie dépouillée de son épiderme. Le système nerveux du modèle est
immobilisé ; le cœur est arrêté ; les artères ne battent
plus ; on a tari la sève, et tout en inoculant quelque drogue
qui assure la rigidité nécessaire à une enveloppe dont on ne veut reproduire
que le contour. Devant ces « cires » la plume de M. André Gide
est à l’aise : pas un pli, pas une ride, pas une ombre… Elle va,
elle va ; pas un arrêt, pas une hésitation, pas une faute. Du
premier mot au dernier, pas un creux, pas un relief ; cela est
si égal, si continu, qu’on chercherait en vain un point d’arrêt. Il
n’y a pas un mot en moins, il n’y a pas un mot de trop. C’est tout
le temps « très bien ».
|