L’Ère Nouvelle
31 juillet 1920 Harry Morton
Simple histoire de quelques âmes également
simples tourmentées par ce désir de perfection et d'achèvement que
Platon appelait déjà l'amour. Un pasteur protestant recueille une enfant
aveugle et stupide en fait, à force de soins, une belle créature du
Seigneur « pulcher hymnus Dei » et il ne s'aperçoit de l’amour
qu'elle lui inspire que lorsque son propre fils lui avoue qu'elle est
susceptible de l'inspirer. Il pourrait fuir ; mais par une sorte
de transposition du mythe de Pygmalion, la statue est éprise du statuaire ;
Gertrude, aveugle et ignorant le péché, aime ingénument et passionnément
celui qui l'a formée. Le pauvre homme ne saurait résister à cet appel
dans lequel s'unissent les voix de la nature élémentaire et de la pure
spiritualité. Mais Gertrude recouvre la vue ; ses yeux dessilés connaissent la forme du désir, qu'incarne le jeune homme,
la figure de la loi, personnifiée dans la femme du pasteur, et la laideur
du péché, sous les traits de son amant. Elle meurt, semblable aux vierges
antiques pour avoir soulevé le voile qui lui cachait la face monstrueuse
de la vie. Cette symphonie commence un peu
lentement, donne l’impression d'un chef-d'œuvre et se clôt sans avoir
réalisé les promesses qu'elle laissait espérer. Il faudrait vraiment
très peu de chose pour en faire une œuvre hors de pair. Telle quelle,
elle reste un peu grise et froide, comme ces paysages des Alpes, lavés
par l'éternel ruissellement des neiges et dont les lignes puissantes
s'enfoncent dans un brouillard glacé. Cette impression tient-elle à l'emploi
continu du style évangélique, à l'absence presque totale d’images plastiques, à cette
religiosité nébuleuse qui obscurcit l'humanité des sentiments ? Tout cela est pourtant nécessaire
et toute autre atmosphère serait mortelle pour les héros de cette idylle
trop ingénue. La Symphonie pastorale est le journal d’un pasteur.
C'est en même temps le tableau des impressions d'une âme qui s’éveille à l'amour,
comme la nature à l'appel du printemps. C’est encore une symphonie
pure et simple, au sens où Whistler pouvait dire qu’il peignait des
symphonies en blanc. C'est peut-être trop de choses à la fois, et la
multiplicité des intentions qui se cachent sous ce titre symbolique
explique pourquoi Monsieur André Gide, en dépit de son inconstatable
talent, n'a pu arriver à les réaliser toutes au même degré.
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