La Plume
15 août 1895
Adolphe Retté
Voici un nouveau petit livre de
M. Gide. On n'y trouvera pas la mélancolie passionnée des Cahiers
d'André Walter ni le pessimisme féerique du Voyage
d'Urien, ce périple aux confins de la connaissance qui est
une manière de chef-d’œuvre. Ici M. Gide s'est donné le passe-temps
de quelque ironie. Paludes irritera bien des gens : en
effet, il ne s'y passe exactement rien du tout. Le héros
se lamente, agace la dame qu'il honore de son attention... platonique,
discute, non sans fatigue, avec des comparses burlesques, tente
une œuvre sans avoir même le désir de la terminer et enfin se
laisse vivre — comme abruti après quelques velléités de noter
ses sensations. Paludes, c'est en somme la satire très
fine d'un certain symbolisme quelque peu valétudinaire et surtout
des procédés chers à M. Barrès. Le style a cette grâce un peu
languissante dont M. Gide sait si bien les secrets. Enfin, pour
achever de se moquer louablement du monde, M. Gide termine son
livre par une « table des phrases les plus remarquables
de Paludes ». Il note celle-ci : « Il
dit : "Tiens ! tu travailles !" ».
Puis il laisse au lecteur le soin de remplir la page selon son
goût. Savoureuse mystification qu'on ne saurait trop approuver,
tel est Paludes.
|