La Petite République
[mai 1901]
Charles Martel
L'Œuvre, tel
le phénix, est rené pour un soir de ses cendres. Nous avons retrouvé,
avec une gaieté qui nous a rajeunis de quelques années, les petites
dames à bandeaux plats, les maîtresses d'esthètes, et les jeunes bardes
au visage rasé, qui ont souvent les cheveux plus longs que le talent.
Et nous avons retrouvé le toujours vaillant Lugné-Poe, qui ne se décourage
point et qui continue, sur la brèche, à défendre le rêve de quelques
artistes dont le talent est certain et le succès improbable. Tel est
M. André Gide.
Je n’aurai
point la témérité de vouloir
vous
conter ici le Roi Candaule. Le fonds même de la pièce dépasse la portée de mon intelligence, que j’ai la modestie
et la sincérité
de reconnaître très limitée.
Je
vous ferai donc grâce des profonds symboles et des abstractions ésotériques que
recouvre la très simple
histoire du bon roi Candaule.
Cette histoire, je vous la dirai avec cette naïveté charmante qui est
le principal attrait de mon caractère et la meilleure séduction de mon
talent.
Voici. Le roi
Candaule — nous sommes en Phrygie, terre libidineuse — possède une femme
d'une admirable beauté, Nyssia. C'est un bien joli nom, n'est-ce pas?...
La reine est plus jolie encore. Candaule est enchanté d'avoir pour épouse
une si gracieuse personne. Jusque-là les sentiments de ce monarque sont
fort compréhensibles et fort ordinaires. Rassurez-vous, ils ne vont
pas le rester. Candaule est si content, si fier, si heureux de la beauté
de sa femme, qu'il désire que son bon ami Gygès puisse la contempler
à loisir. Il lui en fournit donc le moyen en cédant fort gentiment sa
place à ce sacré veinard de Gygès. La reine,
le lendemain, déclare à Candaule — voilez-vous la face, pudiques lecteurs
et vous aussi non moins pudiques lectrices! — qu'elle a passé une excellente
nuit. Mais lorsque Nyssia découvre la supercherie, elle entre en une
épouvantable fureur. Elle ne comprend rien à la générosité, cette femme-là,
et elle n'est pas artiste pour deux sous. En deux mots, c'est une bourgeoise.
Elle engage Gygès à châtier le roi du mauvais procédé dont il a usé
à son égard, et Gygès, qui a déjà massacré sa femme au premier acte,
massacre ce brave Candaule au dernier. Et voilà. Vous trouverez cela
sublime ou ridicule, tragique ou désopilant. C'est votre affaire. Quant
à moi, je m'en lave les mains, — et précisément ça se trouve fort bien,
car je viens de m'apercevoir que j'en avais grand besoin.