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The weekly critical review
27 août 1903
Baron de Beaucorps
Correspondance
Château du Fief, Genouille, Charente-Inférieure,
19 août 1903.
Monsieur,
Vous avez bien voulu m'envoyer un numéro de votre Revue ; en échange
de cette attention gratuite, permettez-moi de vous soumettre quelques
réflexions qui pourront être utiles à M. Rémy
de Gourmont et à M. Gide si ces lignes vont jusqu'à lui.
Tous les professionnels de la pépinière, de la transplantation
et de la plantation lui diront, je pense, qu'il fait confusion.
Si un arbre élevé chez un pépiniériste doit
être mis en place à dix ans, je suppose, avec une certaine
taille, un certain volume, pour faire de suite un certain effet, une certaine
décoration, il vaut mieux qu'il ait été transplanté
plusieurs fois. En effet, un arbre de dix ans a fait des racines pendant
ce temps, les petites sont au bout des grosses naturellement, et assez
loin de la tige. A moins d'enlever une motte de terre de ¼, ½
mètre cube, ce qui est impraticable sans dépenses excessives,
toutes les racines petites, germes de un an et deux ans, les radicelles,
resteront en terre. On n'emportera que les plus grosses, plus ou moins
impropres à fournir les radicelles qui seules absorbent, se nourrissent.
Faute de radicelles, l'arbre mourra sur ses grosses racines.
Si, au contraire, on l'a déplanté plusieurs fois, on l'aura
forcé à faire, à chaque fois, de nouvelles petites
racines et radicelles, près de la tige dans la motte que l'on doit
enlever, dans la zone au moins qui sera soulevée et dont on emportera
les racines, en laissant la terre sur place.
Le même petit arbre laissé dans le lieu de son semis, si
les conditions générales sont bonnes, si le sol est bon,
le sous-sol passable à une très grande profondeur, si tous
ces avantages existent au même titre que dans la place définitive
où on l'installera à dix ans, serait venu, dans le lieu
de son semis, plus beau et en moins de temps.
La transplantation répétée est un artifice de culture
pour faciliter la reprise à un âge où la transplantation
est toujours fâcheuse, redoutable, souvent mortelle ; c'est un artifice
une précaution préventive, sans laquelle l'arbre transplanté
à dix ans périrait presque infailliblement.
Certains arbres, pins maritimes (ou des Landes, ou de Bordeaux), aiment
si peu la transplantation que vous n’en verrez point à acheter
chez les pépiniéristes. Par la transplantation, on casse
le pivot, trop long pour être emporté, et l’arbre périt.
Dans les Landes on transplante, paraît-il, cet arbre assez âgé
pour qu’il soit assez grand pour n’être point brouté
par le bétail. C’est une exception coûteuse pour des
nécessités spéciales. Le chêne n’aime
pas la transplantation, on a des artifices pour la lui faire supporter,
on le sème au-dessus d’une planche qui arrêtera la
descente du pivot.
Tous les gens au courant sans être professionnels savent qu’on
a de très beaux sujets venus de semis naturels, sans transplantation
aucune. Souvent ils sont plus hauts, ayant un pivot plus profond si le
terrain s’y prête. Exemple : les pins sylvestres.
Les gens au courant savent aussi que le pivot, racine centrale d’un
arbre, forme la tige centrale et la cime ; ces deux organes sont en proportion
de longueur l’un de l’autre. Les racines traçantes,
latérales, celles que développent la transplantation, correspondent
aux branches latérales, les nourrissant à proportion de
leur développement (du développement de ces racines latérales,
traçantes). C’est un fait de théorie et d'expérience
non contesté. Or les arrachages brisent toujours plus ou moins
les pivots qui successivement tendraient à se former.
Si M. de Vilmorin parle de repiquage, c'est : 1. pour les légumes
dont on ne cherche pas la hauteur ; 2. pour les plants destinés
à être vendus par un pépiniériste et non pas
à être laissés en place. M. de Vilmorin a dû
semer du pin maritime en Loiret, où il a des propriétés,
soyez assuré qu'il ne l'a jamais repiqué.
Beaucoup de plants forestiers, ou d'ornement, doivent être repiqués
; ils y gagnent, parce que le semis est plus facile à soigner dans
une pépinière de bon terrain que dans des hectares et des
hectares de terre médiocre à boiser. M. de Vilmorin parle
en pépiniériste et marchand grainier, pour des pépiniéristes
et des propriétaires qui ne peuvent pas toujours semer sur place,
pour de multiples raisons. Jamais ce sylviculteur distingué ne
vous conseillera de repiquer, arracher et transplanter cinq fois, ou dix
fois de suite du pin sylvestre. Sur semis, un an ; en pépinière,
après repiquage, un an, total un arrachage avant le dernier pour
mettre en place. On brise ainsi le pivot qui se serait formé en
bon terrain, mais on trouve des racines latérales qui s'installent
facilement à la place définitive où le propriétaire,
l'acheteur du plant, veut le mettre.
Inutile de vous faire remarquer que dans les forêts vierges où
le déracinage n'existe point, il vient des arbres (de semis naturel)
en comparaison desquels nos plants si déracinés et enracinés
qu'ils soient, sont des avortons. De même les forêts plusieurs
fois séculaires se renouvellent par les semis naturels, pendant
que de vieilles souches, recépées bien des fois, périssent.
Je n'imagine pas que dans une forêt de mille ans, qui n'a jamais
été repeuplée, renouvelée artificiellement,
il n'y ait que des souches de mille ans. D'ailleurs, on y voit des arbres
devenus très beaux, qui ne sont pas sortis d'une vieille souche,
mais d'une graine semée par la nature.
Après tout, je ne connais ni tous les sols, ni toutes les essences
: et il est possible que je me trompe et que ces messieurs aient raison.
Je crois plutôt qu'ils ont fait la faute de raisonnement, que les
latinistes, s'il en reste, aiment à appeler « non causa,
pro causa ».
Qu'ils demandent à M de Vilmorin, ou à la section de sylviculture
des Agriculteurs de France, dans les termes où je pose le problème,
et non au point de vue du pépiniériste, qui sème
pour revendre, — la question psychologique, non la pratique commerciale
et industrielle.
Dès lors la théorie de MM, Barrès et autres resterait
vraie au moins pour les végétaux arborescents. — Pour
l'essence humaine, je pense que nous avons chacun notre siège fait.
Veuillez agréer, Monsieur, mes salutations distinguées.
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