La Vie
1913
[Anonyme]
Il y a quelques mois, le R. P. Laurent
Tailhade déterrait Balzac pour le dévorer de ses dents limées ;
c'est aujourd'hui au tour du ministre (ou ministériel) André Gide. Nous avons assez admiré ici les
hautaines vertus littéraires d’André Gide le Superbe, Tarquin esthète
de la bourgeoisie libérale, l’auteur de cette sublime et étreignante Porte Étroite, guichet
de guillotine pour âmes, pour avoir le droit de le taquiner un peu. Il écrit dans La Nouvelle Revue
française : « Qu'est-ce qu'un Balzac en
face d'un Dostoïevsky ? » Dostoïevsky est un des plus passionnants
tragiques de la littérature russe ; mais Balzac, c'est encore
mieux. C’est un maître, le possesseur
d'une humanité autrement ample et élevée. C'est notre plus pathétique
Shakespeare, un Shakespeare catholique comme le vrai fut avant tout
protestant, mais, observateur impartial, il peut inspirer et nourrir
les théoriciens de révolution tout autant que de légitimité. « Il est bon, dit Gide, de
lire Balzac avant vingt-cinq ans, après cela il devient trop difficile.
A travers quel fatras parfois on y va chercher nourriture ! » C'est
vrai pour les estomacs si délicats qu'ils ne digèrent bien que le
lait coupé d'eau de Vichy (c'est la formule de tel néo-classicisme).
Mais pour les gens forts, sains, complexes, quel repas : des
festins et des cènes.
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