La Vie
29 novembre 1913
Ernest Gaubert
Une conférence de M.
André Gide
Je suis de ceux qui, sur les bancs
de la rhétorique, lisaient Les lettres à Angèle et qui, aux
environs de 1899, récitaient avec enthousiasme les Vers pour chanter
deux mois d'un meilleur été — je les fis même traduire en tchèque.
Mon admiration est peut-être plus ancienne que celles des fanatiques
actuels de M. Gide. Ce fanatisme était à prévoir. Pour qui en approfondit
les ressources, la limpidité, la simplicité subtile, la force rayonnante,
le style de M. André Gide mène au culte fervent, par l'étonnement et
l'enchantement, mais comme il m'a agacé ensuite et comme j'ai détesté pendant
quatre ans cette perpétuelle invitation à la méditation par les détails
de la phrase. Il y a dans l’art de Gide tout une onction qui tient à ses
origines. Et puis je lui en ai voulu de son édition incomplète de Signoret.
Je pense à présent qu'il honore notre époque. Il a fait samedi une
conférence admirable sur Verlaine et Mallarmé. Comme Mallarmé ennoblit,
par delà la tombe, toutes les heures où l'on évoque son image et ses
paroles ! Je connais un poète, aujourd'hui retiré loin de Paris
et qui fut l'ami du pur poète d'Hérodiade, qui ne peut prononcer
ce nom sans une sorte d'émotion sacrée. J'avais dix-sept ans lorsque
M. Léopold Dauphin, ce poète, me conta quel était l’enseignement profond
de Mallarmé. La parole prenante, la prose ailée
de M. André Gide ont aisément ranimé cette émotion. La gloire de Mallarmé ira en grandissant
chaque année. L'heure viendra où cet auteur difficile sera un auteur
classique. Il faut louer M. Copeau et M. Gide d'avoir jeté une fois
de plus : « Sous ses pas créateurs, les roses de la nuit !… »
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