Candide5 janvier 1933
Fernard Vanderem
On se rappelle l’automne dernier,
le petit retentissement momentané qu’avait eu le ralliement public de
M. André Gide au bolchevisme.
Toutefois, qu’on louât ou qu’on improuvât,
il n’était guère d’esprit délicat que n’eut touché l’émouvant passage
où M. Gide nous contait sa brusque conversion après lecture d’un ouvrage
retraçant les rudes travaux qu’exige de ses jeunes administrés le régime
minier soviétique.
« Une demi-heure pour descendre
en rampant au fond de ces mines sans ascenseur, écrivant M. Gide. Une
demi-heure pour remonter. Cinq heures accroupis dans une atmosphère étouffante.
Comme je comprends leur bonheur ! Les jeunes hommes formés par la
morale nouvelle s'enrôlent avec enthousiasme, je voudrais vivre assez
pour voir la réussite de cet énorme effort, son succès auquel je voudrais
pouvoir travailler. »
Et ce qui ajoutait au pathétique
de ces lignes, c’était l'incertitude sur leurs suites. Verrions-nous,
demain, M. Gide quitter soudain, tel Tolstoï, aisance, foyer, affections
pour aller s’enfouir dans les mines de l’U.R.S.S. Ou bien, sans s'infliger
cette initiation si pénible pour un homme de son âge, nous offrirait-il
le spectacle d’une renonciation plénière à tous ses titres mobiliers,
fonds domaniaux et héritages en faveur du pays de Lénine ?
A ces palpitantes questions, trois
mois s’étaient écoulés sans réponse et, faute de renseignements, nombre
de gens se figuraient déjà M. Gide trimant la lampe de Davy au front,
dans le fin fond des barathres soviétiques, ou menant ici la dure existence
des clochards, quand heureusement, cette semaine, la Bibliographie
de la France nous apporte des nouvelles bien plus rassurantes.
Un vaste cliché de ce recueil nous
annonce effectivement la mise en vente d'une édition de luxe des œuvres
complètes de M. Gide, avec les conditions de souscription. Le coût total
de ladite édition ne demandera pas à l'épargne publique moins d'un million
et demi, sur lequel les droits de l'auteur ne monteront pas à moins
de deux cent mille francs.
Nous sommes loin, comme vous voyez,
des sombres présages que tiraient certains du silence prolongé de M. Gide
et des craintes qu'ils concevaient pour son bien-être. Non seulement M.
Gide nous reste, mais, par son cliché, il nous signifie nettement que
l'affiliation au soviétisme n'implique à aucun degré le renoncement aux
biens de ce monde.
Et voilà qui, beaucoup plus que sa
première profession de foi, me paraît devoir rallier à l’U.R.S.S. tant
de nos jeunes capitalistes de lettres — comme ceux du groupe de Cuverville
par exemple — qu’écartait encore l'opposition entre leurs larges disponibilités
et des doctrines qui en veulent la ruine.
Avec la caution de M. Gide, plus à redouter, en cas de conversion, ni railleries, ni contrôles, ni reprises. Le bolchevisme est désormais une opinion à la portée de toutes les bourses même les mieux garnies. Et si fortuné que vous soyez, vous pouvez l’adopter comme telle autre nuance, sans risquer le moindre ridicule et sans réduire d’un centime les agréments de votre train de vie. |