La Nouvelle Revue Française

Janvier 1912

 

Jean Variot

 

Comme suite à l’article de M. Jacques Copeau paru à cette même place dans notre numéro du 1er décembre, M. Jean Variot nous requiert d’insérer ce qui suit. Nous le faisons bien volontiers.

 

Réponse de M. Jean Variot

 

Monsieur Jacques Copeau ayant fait paraître dans le dernier numéro de La Nouvelle Revue Française un article dont je n’admets pas les termes, j’ai prié deux de mes amis : M. Léon Bernardin et le Prince de Bauffremont de demander à M. Copeau une réparation par les armes.

Voici la lettre que j’ai reçue de mes témoins :

 

Paris, le 11 décembre 1911

Mon cher Variot,

Sur votre demande, nous avons prié M. Jacques Copeau de nous désigner deux de ses amis, pour nous désigner deux de ses amis, pour nous entendre avec eux au sujet d’un article injurieux pour vous. M. Jacques Copeau nous envoie du Limon la lettre recommandée ci-jointe :

« J’estime inutile de confier à deux de mes amis la réponse que voici :

Je suis surpris de la démarche dont M. Jean Variot vous a chargés. Il ne m’apparaît pas, en effet, que l’affaire comporte des suites que voudrait lui donner M. Variot.

Dans un article publié par l’Indépendance du 1er novembre 1911, M. Jean Variot attaquait une personne envers qui je professe la plus respectueuse admiration. Cette attaque m’a paru peu convenable. J’y ai riposté par mon article du 1er décembre, dans la Nouvelle Revue Française, sur un ton qui ne me paraît excéder en rien celui d’une polémique un peu vive. M. Variot s’est, de lui-même, placé sur le terrain de la polémique. Il ne lui appartient pas de m’en faire sortir.

Relisant ma « Réponse à M. Variot », je ne parviens pas à y relever les injures graves, propres à entacher l’honneur et qui rendent nécessaire la sorte de réparation que M. Variot, en constituant deux témoins, pense exiger de moi. De telles injures, au surplus, il n’entrait pas dans mon esprit de les formuler contre M. Variot.

Enfin, pour le cas où M. Variot souhaiterait une explication plus péremptoire à mon refus de constituer des témoins, j’ajouterai ceci :

Que si, d’une part, M. Variot m’appelle sur le terrain pour que, l’un de nous deux s’étant fait égratigner l’avant-bras, l’honneur soit déclaré satisfait, je n’entends pas me prêter à ce genre de simulacre ;

Que si, d’autre part, M. Variot a décidé de m’ôter la vie ou de sacrifier la sienne, la querelle qui nous divise n’est point à mes yeux, de celles dont la vie d’un homme doive être l’enjeu ; et qu’enfin, pour faire bon marché de la mienne, j’attendrai qu’une occasion plus pressante me soit offerte. — Jacques Copeau. »

 

Nous avions demandé à M. Jacques Copeau de nous désigner deux de ses amis. Après les appréciations étranges et inattendues de M. Copeau, il ne nous reste plus qu’à considérer notre mission comme terminée en vous serrant la main.

Léon Bernardin.

Prince de Bauffremont.

 

M. Copeau n’ayant pas osé se battre, ce premier incident a été clos, et j’ai adressé à M. André Gide, la lettre suivante :

 

Jeudi, 14 décembre 1911

Monsieur,

Dans la Nouvelle Revue française du 1er décembre 1911, M. Jacques Copeau a écrit un article dont je n'admets pas les termes. Je lui ai envoyé mes témoins : il s'est dérobé.

Dans ces conditions, c'est à vous que je m'adresse pour couvrir celui que je considère en quelque sorte comme votre subordonné. Il est absolument inutile de m'objecter que votre nom ne figurant pas sur la couverture de la Nouvelle Revue française, vous n'avez pas à me rendre raison. Tout le monde sait que la Nouvelle Revue française paraît sous votre direction morale ; tout le monde dit : « la revue de Gide. » Je ne connais donc, et ne veux connaître que vous, vous seul, comme responsable de ce qui s'est dit de moi à la Nouvelle Revue française. Je vous prie donc, en conséquence, de faire le nécessaire pour que deux de vos amis entrent en pourparlers avec mes témoins, et cela dans les vingt-quatre heures.

Je vous prie de réfléchir profondément à ceci :

A savoir que lorsque la Nouvelle Revue française rend de signalés services aux belles lettres, c'est à vous que l'on rend hommage, et qu'il est juste, à rebours, que l'on s'adresse à vous lorsqu'un de vos collaborateurs n'a pas le courage de défendre ses propres paroles.

Recevez, Monsieur, mes salutations.

Jean Variot.

 

J’ai reçu de M. André Gide, la lettre suivante :

 

Villa Montmorency, 15 décembre 1911.

Monsieur,

J'ai le regret de ne pouvoir accéder à votre désir. Mon ami Jacques Copeau a répondu à l'envoi de vos témoins dans des termes que je fais miens du moment que vous me voulez responsable de l'article incriminé.

Recevez, Monsieur, mes salutations.

André Gide

 

Les lecteurs de la Nouvelle Revue française verront, par la lettre de M. Copeau et celle de M. Gide, que ces messieurs ne sont pas seulement des hommes de grand talent, mais aussi des hommes de grande prudence.