L’Eclair

 

[Anonyme]

 

 

   

« J'ai commencé un nouveau cahier que je veux réserver au livre; j'en ai écrit hier le plan et jeté les principales lignes. Pourtant j'ai laissé les conclusions vagues et flottantes, voulant m'imposer une déduction non prévenue et découvrir peu à peu, au fil de l'évolution patiemment déroulée, — d'autant plus ne vois-je pas très bien jusqu'où je pourrai pousser le drame, ni comment l'arrêter, ni pourquoi.

La vérité voudrait, je crois, qu'il n'y ait pas de conclusion : elle doit ressortir du récit même, sans qu'il soit besoin d'une péripétie qui la fasse flagrante. Jamais les choses ne se concluent : c'est l'homme qui tire les conclusions des choses. »

Ces phrases, extraites des Cahiers d’André Walter, pourraient, à ces cahiers servir d’épigraphe.

Qui est-ce, André Walter ? Son ami nous apprend qu'il devint fou d'une folie très douce et qu'il mourut de la fièvre typhoïde. Durant sa maladie, il avait noté ses sensations exceptionnelles. On les a recueillies.

Pas d'autres renseignements sur cet être singulier. Nous avons quelque raison de penser toutefois que M. Maurice Barrès l'a connu.

Nous disposons de trop peu de place pour parler comme il faut de ce livre chaste dont la lecture peut jeter l'âme dans un grand trouble. Il n'est pas analysable brièvement; il échappe à la description rapide.

André, dans les premières pages, note avec des mots d'une fluidité extrême, les impressions d'une amour blanche.

Dans les pages suivantes, séparé de la femme qui était comme sa fiancée-sœur, il essaie de démêler ce qui se joue dans son âme sans qu'il y paraisse au dehors.

Certaines souffrances trouveront une grande joie à se bercer avec ces phrases pacifiantes, toutes musiques et parfums. Leur calme exaspérera les autres.

Détail particulier : André Walter pour s'aider dans l'analyse pieusement quintessenciée de son Moi, appelle à l'aide les Saintes-Ecritures, Stendhal et Paul Verlaine. Des Saintes-Ecritures, il prend les moyens, de Stendhal les procédés, de Verlaine les sons câlins.

Il est rare qu’au cours de ces observations nonchalantes, il ne rencontre point des pensées. Dans une forme rythmique, il les sertit en quelques mots qui ont je ne sais quoi de définitif et pourtant d'inachevé.

« Tous ont raison — les choses deviennent vraies ; il suffit qu'on les pense, — c’est en nous qu'est leur réalité, notre esprit nie ses vérités.

« L’esprit change, il s'affaiblit ; il passe et l'âme demeure. Ils demanderont ce que c'est que l’âme. L'âme, c'est en nous la volonté aimante. »

Encore une pensée pour finir : « Il ne faut pas que l’âme s’alanguisse en ses rêveries mélancoliques — mais qu'elle se réveille enfin et recommence à vivre. » Cette pensée est la morale de ce livre bizarre, affolant, indéfinissable, qui fuit, s'évapore, si peu qu'on pousse le texte, qui… mais il ne faut pas que l'âme s'alanguisse en des rêves mélancoliques...