La Revue du Siècle

 

Anonyme

 

 

[manque le début] reconstituer l'histoire d'André Walter. Il s’était de bonne heure profondément épris d'une jeune fille aux côtés de laquelle il avait passé une partie de sa vie d’enfant et de jeune homme. Son âme ardente, rêveuse, avide de poésie, étrangement sensible et mystique, tressaillait toute entière sous l'étreinte de cette passion si pure et si haute. Mais sa mère, à son lit de mort, ignorant ou comprenant mal l'amour de son fils, a fiancé la bien-aimée à un autre. Il faut que sa volonté s'accomplisse. André s'éloigne, défend qu'on lui écrive, et se plonge, tout saignant de la blessure récente, dans une solitude farouche et dans un labeur acharné. Dans son ermitage, les souvenirs chéris des amours passées viennent en foule hanter sa mémoire et y prennent une vie nouvelle :

« Une chose n’est pas bien morte, qui n’est pas encore oubliée » Il retrace, lambeaux par lambeaux ces heures disparues, en évoquant l’image de celle qui les embellissait de son sourire :

« Je te rends maintenant ce que tu m’as donné : ta musique et ta poésie. Mon âme chante : écoute-là : elle dit les choses passées — les choses anciennes, pour que tu saches enfin quel était notre amour vivace, et pour que lui aussi ne passe, je jette au vent de l’esprit ces pages folles écrites ; elles consommeront le chaste désir de nos âmes, et chanteront les symphonies de leurs éternelles fiançailles. »

Un jour, André apprend la mort de celle qu’il aime. Alors, perdu de plus en plus dans son rêve, il étreint ardemment l’espérance d’une réunion au-delà de la tombe, et passe les derniers mois de sa vie dans une lutte sans trêve contre le doute, pour la fidélité chaste, et dans un travail fébrile pour l’achèvement de l’œuvre commencée. La folie s’avance à grands pas tandis que l’œuvre s’achève. André sent qu'il faut lutter de vitesse avec la grande ennemie, et parvient à achever son livre, un roman intitulé Allain, qui ne sera jamais publié, l’auteur ayant donné à son exécuteur testamentaire la mission de choisir entre ce livre et les cahiers que nous analysons aujourd’hui. Mais l’esprit d’André Walter s’est troublé à jamais, et il meurt après avoir entrevu, dans une dernière lueur d’intelligence, la réunion rêvée.

Telle est l’œuvre, du moins pour la partie intrigue. Mais ce qu’il faudrait pouvoir analyser et discuter, ce sont les pensées de l’auteur plus que le mouvement général du livre. Il est certain que M. André Walter remue des idées, et de celles dont on est un peu déshabitué dans notre temps. Il y a dans ces cahiers des ferveurs dignes des époques passées profondément touchantes et sincères, des doutes poignants, un sentiment intense de la mélodie, un souci et une recherche patiente de la vérité morale et artistique. Rien de banal, de convenu, des pensées toujours très hautes, parfois un peu obscures et d’une expression inachevée. Livre curieux en un mot, et par dessus tout absolument original de fond et de forme. L'éditeur nous annonce qu'André Walter a laissé quelques vers et quelques pensées qui peuvent former la matière d'un volume. C'est avec une vive impatience que nous attendons l'apparition de cette nouvelle œuvre.