Paris-Midi
Noël Sabord
Quand on n'a point
d'autre chicane à chercher à un auteur, ces vétilles de langage facilitent
la critique. On lapide le malheureux avec les pierres de son propre
jardin, et l'on en trouve jusque dans les mieux tenus. Jusque chez M.
André Gide, pourtant très attentif à sa plume et qui a inséré dans
son dernier roman, sur l'usage de « très », une page de subtiles
remarques. Mais l'on va plutôt se récrier que l'auteur de Corydon ait
risqué sur son livre un tel titre, d'ailleurs pris à Molière. Il ne l'a point
fait à la légère, vous pensez bien, ainsi que le prouve une petite
lettre liminaire, et il est plutôt à croire que, selon son caractère,
il présente ainsi volontairement la face à de nouveaux quolibets. Qu’il me pardonne
de ne rien ajouter à sa joie de souffrir. A peine lui ferai-je observer
avec respect qu’il y a moins d'indécence dans son titre que de disproportion
au sujet, car cette école n'est que celle d'une femme et la leçon en
est un peu courte. Mais l'art sauve
tout, et il est bien possible, après tout, que la lecture de ces pages « puisse
n'être pas sans profit pour quelques jeunes femmes ». L’on doute
seulement que l'exemple final en soit à suivre et qu'une mère encore
jeune et qui garde un fils et une fille, pour la seule raison que son mari la dégoûte, s'en aille ainsi mourir
dans un hôpital de contagieux. Car telle est l'histoire
que nous apporte M. André Gide. Une jeune fille, à dix-huit ans, croit
découvrir en un jeune homme l'être supérieur à qui elle se dévouera
toute. Il lui paraît beau, intelligent, brave, loyal, généreux, etc.
Elle l'épouse. Vingt ans après, ce n'est plus qu'un être mesquin, artificieux,
intéressé, hypocrite, comédien, lâche et qui, pendant la guerre, bien
entendu, s'embusque. Un pantin dont elle s'étonne d'être la femme et
qui la dépite jusqu'au désespoir. Vous voyez que,
sauf le dénouement, l'aventure est assez banale. Mais la femme, de
coutume, s’y conduit d'autre manière. Moins honnête, celle-ci eût usé son
dépit à la façon moliéresque, c'est-à-dire gauloise et nationale, et
sa fille, une petite rouée assez cynique, le lui conseille.
Mais M. André Gide, s'il se dit immoraliste, est néanmoins de la religion. Après l'abondance
et le désordre des Faux-Monnayeurs, ce petit livre paraît d'une
simplicité extrême dans son ordonnance toute classique. Mais cette
rigueur apparente dissimule, une secrète richesse et la souplesse d’un
esprit qui se pique tout à tour d'effusion et de retenue, — toujours
maître de lui d'ailleurs, qu'il s'abandonne ou se contraigne. |
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