Populaire de Nantes
2 juin 1929 J. Tallendeau
« L'École
des Femmes », par André Gide, aux Éditions de la Nouvelle Revue Française
n'a qu'un lointain rapport, à part le titre, avec la comédie de Molière.
Molière, en écrivant sa comédie, tendait à démontrer que l'Amour était,
en définitive, le principal objet, sinon le seul but de l’École des
femmes. Pour M. André Gide, au contraire, autant qu'on puisse préjuger
des intentions d'un auteur, il semble que l'École des femmes soit surtout
l'école du dévouement et l'apprentissage de la vie conjugale. Deux mémoires,
d'égale importance, composent la matière du volume. Dans le premier,
le lecteur apprend comment Geneviève fiancée aime et juge Robert, celui qui
va devenir son époux. Le second, écrit
vingt ans plus tard, nous révèle les sentiments de la même Geneviève,
devenue épouse Robert, à l'égard dé son mari. L'épreuve a été rude.
Au premier aspect, on se demande si ce ne sont pas deux
femmes distinctes qui ont été chargées de juger un même homme. Non
pas ! Geneviève est bien l'unique et même personne, dont les sentiments à l'usage
et à l'épreuve de la vie conjugale, se sont modifiés. Jeune fille, éprise
et confiante, Geneviève admirait, presque sans examen, tout ce que
disait et faisait Robert. Elle n'était pas éloignée de le considérer
comme un être remarquable, exceptionnel, un surhomme, une sorte de
génie universel. Mais bientôt, à le voir dans le privé, et en robe de chambre,
si l'on peut dire, elle a déchanté. Ses yeux énamourés et éblouis
se sont dessillés
et, à les voir de plus près, les plus brûlantes
qualités de Robert ont apparu — ce qu’elles étaient en réalité — d’insupportables
défauts. Pourtant, au moment
où, lasse, Geneviève cherche à s'évader d'un contact permanent qui
lui pèse et dont elle sent de jour en jour la chaîne plus pesante,
elle ne réussit pas à se libérer. Elle est vaincue d'avance, par la
force du raisonnement et les liens supérieurs de l’habitude, et elle
continuera de vivre, désabusée, désenchantée, auprès de celui dont
le temps a déboulonné la statue et qu'elle est plus près de haïr que
de continuer à aimer. J'ignore quelle
place sera assignée à « L’École des Femmes » de M. André Gide,
dans l’ensemble de son œuvre ; mais, pour ma part, j'estime qu'elle
occupera un rang choisi, autant par la qualité du sujet que par l’élégance
de la forme. Qu’une femme mariée
apprenne la résignation et le dévouement, même si l'idéal qu'elle avait
caressé comme fiancée ne se trouve pas complètement réalisé, plus tard,
comme femme, n'est-ce pas la meilleure école où elle peut et devra
s'instruire. Beaucoup de citoyens, mes frères, penseront sans doute
affirmativement comme moi.
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