L’Initiation
juin1892
Georges Montière
Vous souvient-il
d'un roman étrange, Les Cahiers d'André Walter, dont l'analyse
parut jadis dans l'Initiation (avril 1891) ? « Un
charme indicible, écrivais-je alors, émane de ces pages douloureuses,
où une âme souffrante évolue, chapitre par chapitre, en des strophes
cadencées, pareilles à des hymnes. » Le second livre du même
auteur, publié tout dernièrement, est d'émotion peut-être plus poignante
encore. Vingt-et-un
poèmes (le nombre des arcanes majeurs du Tarot) s'alignent à la suite
l'un de l'autre. La rime, — existe-t-elle ? — faite parfois du même
mot répété, souvent omise, n'est là que pour donner sa résonance musicale
; le rythme fantaisiste, mais harmonieux toujours, s'allonge ou s'accourcit,
docile au caprice du poète, et de cette méthode innovée se dégagent
le plus puissant lyrisme, la plus intense impression de brisement
et de rêverie imaginables. Arrêtons-nous
dès la première poésie. Sa citation me fournira le meilleur commentaire
possible :
Il n'y a pas eu de printemps cette année,
ma chère ; Pas de chants sous les fleurs et pas
de fleurs légères, Ni d'Avril, ni de rires et ni de métamorphoses; Nous n'aurons pas tressé de guirlandes
de roses.
Nous étions penchés à la lueur des lampes Encore, et sur tous nos bouquins de l'hiver Quand nous a surpris un soleil de septembre Rouge et peureux et comme une anémone
de mer.
Tu m'as dit : « Tiens ! Voici l'Automne. Est-ce que nous avons dormi ? S'il nous faut vivre encore parmi Ces in-folio, ça va devenir monotone.
Peut-être déjà qu'un printemps A fui sans que nous l'ayons vu paraître
; Pour que l'aurore nous parle à temps, Ouvre les rideaux des fenêtres. »
Suffisant à
peine pour indiquer la tonalité générale de l'œuvre, le trop court
extrait ci-dessus ne saurait exprimer l'admirable mélancolie de son
ensemble. Pourtant je renonce à choisir davantage
parmi les richesses de ce recueil d'une originalité si troublante,
où les trouvailles succèdent aux trouvailles, comme des perles s'enchâssent
en un collier. Mieux vaut lire
et juger soi-même cette œuvre « posthume », déclare le sous-titre. Quiconque possède à ce degré la maîtrise de son talent, n'est point écrivain de la veille, sans bagage littéraire derrière lui. Souhaitons voir avant peu, à l'étalage des librairies, un troisième volume d'André Walter joint à ses deux aînés !
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