Colloque de Paris 1988
David STEEL, « Thésée
à Cambridge - 1918 », Colloque
« 1918 dans l'itinéraire d'André Gide »
[Paris, Sénat, 1988],
BAAG, n° 78-79,
avril-juillet 1988, pp. 25-40.
© David STEEL
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originale.
Texte mis en ligne sur
Gidiana le 15 juin 2000.
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[Note : du même critique,
on pourra lire aussi sur ce site, dans la rubrique « Documents » :
David STEEL, « Gide
à Cambridge, 1918 », BAAG, n° 125,
janvier 2000, pp. 11-74.]
Gide fit en tout huit voyages en Angleterre -- trois jours
à Londres avec le Pasteur Allégret en 1888, quelques
jours à la sauvette en 1908 à Londres et à
Oxford avec Copeau, Ghéon et Schlumberger, une quinzaine
durant l'été de 1911 avec Larbaud, à Londres
de nouveau mais avec quelques visites aux alentours, un court séjour
à Noël 1912 à Londres encore une fois, puis,
après de vains efforts pour repartir en 1914 et 1915, c'est
le long séjour de trois mois à Cambridge en l'été
de 1918, l'année qui est le sujet de ce colloque. En 1920
il retournera passer l'été au Pays de Galles sous
une pluie quasi ininterrompue, mais attendra 1937 avant de retraverser
la Manche pour réconforter son ami Simon Bussy malade à
Londres. Sa dernière visite sera celle de 1947, lorsqu'il
reçut de l'Université d'Oxford son doctorat honoris
causa (1).
Le séjour
important demeure celui de 1918, avec son « neveu »
Marc Allégret, quand il s'immisce dans les milieux intellectuels
de Cambridge, d'où il fait des excursions à Londres,
dans le Gloucestershire, le Surrey et jusqu'aux environs d'Édimbourg,
rencontrant divers membres du groupe de Bloomsbury, par l'entremise
de la famille Strachey, Dorothy surtout, qui deviendra sa traductrice
anglaise attitrée et tombera éperdument amoureuse
de lui, son mari Simon Bussy, Lowes Dickinson, le critique d'art
Roger Fry, les poètes A.E. Housman et John Drinkwater, le
romancier Aldous Huxley, le peintre Duncan Grant, Keynes le grand
économiste, l'érudite Jane Harrison ... et rerencontrant
Davray, Ruyters, Gosse, Rothenstein sans oublier son ami peintre,
Raverat, qui avait en partie et discrètement organisé
le séjour. J'ai rapporté ailleurs les détails
de cet été et n'y reviens donc pas ici. Ce fut un
séjour passionnant et en tous points réussi, un voyage
épique, en [26] quelque manière, et qui fit date dans
la vie de l'écrivain.
Ce que pouvait être
la célèbre ville universitaire aux yeux d'un visiteur
français à cette époque transparaît dans
les vers d'un poème intitulé précisément
Cambridge et que Drieu la Rochelle publia dans Littérature
en octobre 1919 :
Je passe de la blancheur des draps étirés
par le rêve
dans les eaux longues sous la flanelle et le canoë.
Je mange des concombres.
Je lappe quelque peu d'une bière lente persuasion.
Je fume des herbes blondes.
Je lis les grands poètes avec une indulgence
si profonde
qu'un compromis affectueux intervient.
Les idées passent d'heure en heure.
Le monde végète copieusement dans ma tête.
Herbes grasses et traînantes de la Cam.
0 latente responsabilité de la presse mondiale
Sur l'eau glissent des jeunes femmes fraîches
comme
leur linge.
Le désir repose au fond de la barque parmi les gaffes.
Une suffisante camaraderie règne entre ces rives.
Sommeillent aussi la préhistoire et la guerre.
Je suis sans ambition et oublie mes amis.
Je me baigne.
Puis un rayon hume ma peau goutte à goutte.
Je mûris.
Mes cheveux tombent.
C'est le dernier été où j'arbore mon enfance.
vers dont les sentiments épousent, à
quelques détails près, ceux que Larbaud avait déjà
fait pressentir à Gide qu'il y connaîtrait... « ...Il
faut y aller. Je préfère Cambridge à Oxford.
Les bâtiments sont plus simples, les perspectives plus claires,
avec des petits temples des belles-lettres, pseudo-classiques, tout
à fait engageants. Ce qu'il y a de mieux, ce sont the Backs,
c'est-à-dire les pelouses, parcs et jardins qui sont derrière
les collèges, et que traverse la Cam, divisée [27]
en un grand nombre de petits canaux, avec des ombrages placés
là exprès pour qu'on vienne passer des journées,
couché dans un bateau. On y rencontre Phédon, Alcibiade,
et Ménéxène étendus sur des coussins
de velours, lisant -- qui sait, Les Nourritures Terrestres
tandis que les rames abandonnées pendent dans l'eau ... »,
...et qu'effectivement il y a connus : « l'oasis de l'Afrique
la plus extrême », écrivit-il à Bennett,
« me dépaysait moins que ne fait aujourd'hui Cambridge ;
et je comprends que ce n'est point par hasard que depuis tant d'années
l'horloge de Granchester est arrêtée. Quelques heures
de ma jeunesse m'attendaient depuis longtemps sur la Cam, que je
vis enfin, désespérément, et comme en rêve,
canotant, lisant Herrick, me baignant » (2).
Pourquoi, lorsqu'on
n'y est pas contraint, voyage-t-on ? Pour voir, pour apprendre,
pour se divertir et pour rapporter... qui des photographies, qui
des souvenirs, des papillons, un bronzage. Gide voyageait pour le
délassement, la chasse au plaisir, l'instruction. Dans toute
émotion il y a mouvement, dans toute instruction changement
et Gide évaluait chaque expérience affective ou intellectuelle
selon le degré de mobilité qu'elle lui offrait, allant
jusqu'à affirmer que « toute instruction est un
déracinement par la tête » (3).
A l'encontre de Valéry qui s'en faisait une image très
féminine, pour Gide la sensualité mobile de l'instant
se serait exprimée plutôt -- ni vu, ni connu -- dans
le temps d'un train entre deux valises. Et puis dans un train qui
ne rencontre-t-on ? Voyager c'était quêter le renouveau
de soi, se quitter pour mieux se trouver, mais se retrouver différent,
tomber malade, en quelque sorte, pour mieux goûter la convalescence,
car Gide croyait aux affinités entre voyages et maladies.
On « relevait de voyage » comme on se refaisait
une santé : au voyageur, au convalescent et à l'artiste
le don et le privilège de voir la vie sous un jour neuf.
Voyager c'était en outre rompre avec le quotidien, rompre
aussi avec le passé, passer outre, partir à neuf.
Souvent, pour Gide, la rupture s'effectuait en même temps
par le biais du scandale, comprenait une transmutation des valeurs
qu'il fallait publiquement afficher, comme si le voyage était
matière à manifeste... proclamation [28] de la pédophilie
qui suit le voyage en Algérie de 1893, dénonciation
des abus coloniaux après le voyage au Congo de 1925, révélation
du stalinisme après le séjour en URSS en 1936. Ce
que l'écrivain rapportait de ces voyages-ruptures ou voyages-scandales
c'était en outre du texte ou de la matière à
textes: pages de journal, carnets de route, feuillets de notes qui
allaient servir de base à un ouvrage à élaborer
ultérieurement.
Aussi Cambridge,
en 1918, s'insère-t-il dans cette série de déplacements
qui entraînent la renaissance par le scandale. Partir seuls,
rester avec Marc, dans un milieu étranger, de façon
délibérée, encore qu'à moitié
clandestine, signifiait rompre spirituellement avec Madeleine, s'établir
avec un partenaire autre qu'elle, définitivement la trahir.
L'Angleterre de cet été-là marque donc une
étape définitive dans la vie amoureuse de Gide et
dans son mariage. Au sein du ménage de Cuverville ce séjour
constitue le scandale irrémédiable, scandale reproduit
et consommé par son équivalent ; la destruction
vengeresse à laquelle se livre Madeleine de toute la correspondance
à elle adressée par son mari. « Nathanaël,
quand aurons-nous brûlé tous les livres ? »
(N.T., 164)
On constate cependant,
et très curieusement, que si l'Algérie de 1893 s'incorpore
textuellement dans de nombreux écrits des Nourritures
Terrestres à Si le grain ne meurt, de même
que si la Turquie en 1914, donne La Marche turque,
l'Afrique équatoriale le Voyage au Congo, l'URSS le Retour de l'URSS, l'Égypte les Carnets d'Égypte,
Cambridge, en revanche, représente le voyage qui aboutit
au silence, peut-être le seul séjour où l'expérience
vitale ne sert pas de pré-texte ou bien, si l'on veut, où
le texte ne vient pas a posteriori rendre public, publier,
la crise personnelle. Sur Cambridge, quelques rares lettres à
part, nous n'avons rien ou presque rien. Cambridge demeure domaine
privé, ville close. Le récit reste silencieux, comme
si ce bel été anglais, car c'en fut un, avait sombré
dans l'oubli par sa seule insignifiance, mais une insignifiance
qui est catégoriquement démentie par le mutisme même
qui entoure ce séjour et par le fait, encore plus singulier,
que, seul à n'avoir pas débouché sur la fabrication
d'un texte, ce voyage-rupture est le seul à avoir abouti,
[29] tout au contraire, à la destruction d'un texte, texte
que son auteur chérissait entre tous : les lettres brûlées.
Algérie, Congo, U.R.S.S. ... Gide lui-même par l'acte
d'écrire a mis le feu aux poudres ; pour Cambridge,
c'est Madeleine qui allait réduire en cendres l'écriture
de toute une vie.
Considérons
à la lumière de Cambridge les ouvrages qui sont en
chantier autour de cet été de 1918. Pendant l'hiver
précédent, Gide a peiné sur Corydon,
conscient de l'écrire « hors de saison »
et à froid à une époque où il prétend
avoir déjà trouvé une solution personnelle
au dilemme de sa sexualité. Le 8 juin, il s'occupe à
parachever son texte, déjà à peu près
terminé au mois de janvier (J, I, 1069). Cambridge
n'y sera pour rien, si ce n'est pour confirmer, avant la publication
éventuelle, la conviction de son auteur que le corydonisme
n'est aucunement contre nature, n'allant à l'encontre ni
du beau ni du bien.
Il en va de même
des Mémoires, déjà
en bonne voie mais embourbés au début de l'année
après la mise au net du chapitre sept (J, I,1055).
L'Angleterre n'y a pas sa place, si ce n'est indirectement à
travers la figure de Wilde, mais qui évoque Oxford et non
pas Cambridge. Il n'est cependant pas impossible que la rédaction
ultérieure de la deuxième partie, et en particulier
de la section concernant Wilde et l'Algérie, n'ait pas bénéficié
de l'ambiance de bonheur serein que Gide a connu à Cambridge
avec Marc. Sur Cambridge proprement dit cependant -- et comme il
se devait, du fait même des limites chronologique de Si
le grain ne meurt - - rien. Et rien non plus, notons-le, omission
curieuse, sur la visite à Londres en 1888 avec Elie Allégret
qui, elle, y aurait eu sa place.
A partir du 17 février
Gide est également en train de rédiger, presque sans
brouillon, La Symphonie pastorale (titre, comme La Marche
turque, de source musicale). Le 1er mars
il en lit les quarante-cinq premières pages à Madeleine.
Le 11 mai il a à peu près achevé la première
partie, puis délaisse le manuscrit, jusque-là intitulé
L'Aveugle, pour ne s'y réatteler,
à la deuxième partie cette fois, qu'après son
retour d'Angleterre, quand L'Aveugle deviendra La
Symphonie pastorale (J, I,1058-59). A mi-récit
il part en voyage, [30] exactement comme il a voulu le faire en
1924 avec Les Faux-Monnayeurs, ambitionnant de partir pour
le Congo avant d'entamer la seconde partie de son grand roman --
façon de se distancier du texte, de se recycler, de reprendre
souffle,
On sait que La
Symphonie, s'inspire en grande partie de l'amour de Gide pour
Marc vécu dans les Alpes suisses en août 1917 et que
le séjour à Cambridge, si précautionneusement
préparé, constituait une tentative délibérée
de renchérir sur le bonheur de l'année précédente.
Aux yeux de Madeleine c'est Cambridge pourtant et non la Suisse
--.embardée camouflée sous une visite à Rivière
-- qui représente le véritable drame de l'infidélité
conjugale. Il y a donc un lien entre l'expérience anglaise
et La Symphonie, pastorale, bien que
l'économie et surtout la géographie du récit
ne fussent propres à absorber, malgré la mention de
Dickens, quoi que ce soit du séjour anglais. Il convient
de souligner toutefois, qu'en ce qui concerne la rédaction
du texte, Cambridge s'insère entre les deux volets, entre
les deux « cahiers » du journal du Pasteur.
Or, dans le roman même, c'est justement au cours de cet entracte
qu'a lieu un épisode des plus importants, la relecture par
le Pasteur de ce qu'il a rédigé jusque-là de
son journal et sa prise de conscience de son amour illicite qui
s'ensuit -- moment critique où il lui est permis soit de
refouler ses sentiments, soit de s'y complaire. Bien entendu Gide,
que Dorothy Bussy a trouvé tellement pasteur protestant lorsqu'elle
l'a vu pour la première fois à Cambridge s'est rendu
compte, lui, de son amour pour Marc bien avant l'Angleterre (c'est
plutôt Madeleine qui aura les yeux dessillés par le
voyage, comme si Amélie, la femme du Pasteur dans le roman,
avait lu son journal par-dessus son épaule, encore qu'Amèlie
n'eût point besoin de le faire) mais Cambridge représente
sa décision de vivre cet amour envers et contre tous et surtout
contre le bonheur de Madeleine. Aussi les premiers mots du deuxième
cahier du récit rédigé par le Pasteur :
« J'ai dû laisser quelque temps ce cahier »,
représentent-ils littéralement l'intervalle anglais
dans la composition du texte, intervalle pendant lequel Gide semble
n'avoir rien écrit, mais qui, dans la perspective du drame
à venir : suicide de Gertrude au niveau romanesque d'une
part, découverte des lettres brûlées dans [31]
la vie réelle d'autre part, constitue le calme trompeur avant
le malheur familial. A Cambridge, Gide a-t-il procédé
à une relecture de sa vie jusque-là, semblable à
celle qu'entreprend le Pasteur et, comme lui, sans pour autant changer
d'attitude ? Et est-ce après Cambridge qu'il aurait
ajouté les tout derniers mots du premier cahier qui, après
la célèbre description du paysage alpestre et de la
promenade des deux amants peignent « le sombre chemin
du retour » (S.p., 911-12) ?
Quoi qu'il en soit, Cambridge constitue le silence entre la rédaction
des deux moitiés du récit.
Il est vrai que le
Journal ne garde pas le silence sur le séjour en Angleterre,
ou du moins pas entièrement. Vingt-neuf lignes de texte datées
du 3 juillet, du 15 juillet et du 2 septembre, aux renseignements
pour la plupart anodins, y représentent la décantation
de trois mois d'existence, pendant lesquels tout et tous étaient
nouveaux (J. I, 1070-71). Dans ces
trois paragraphes tout manque et surtout l'essentiel. Contagion
du flegme britannique ? C'est à Cambridge que Gide a
lu Les Silences du Colonel Bramble, premier roman de Maurois
paru chez Grasset au mois de mars précédent (J.
I, 1187).
Dans le texte des
Faux-Monnayeurs par contre, Cambridge apparaît directement.
Le romancier Édouard regagne Paris, rentrant d'Angleterre
par Dieppe, le scénario, à peu de choses près,
de 1918, de 1920 aussi, faudrait-il peut-être ajouter. Gide
fait de l'époux de Laura Vedel un professeur de Cambridge
qui travaille à une thèse sur la poésie de
Wordsworth (qui lui-même y avait été étudiant).
A y regarder de plus près cependant on s'aperçoit
que Gide confectionne une image romanesque de la ville qui est l'inverse
de celle de sa propre expérience. C'est comme si du film
qu'il s'était fait de Cambridge il avait cru bon de ne développer
que le négatif de la pellicule. Alors qu'en réalité
les deux amis fuient à Cambridge pour vivre totalement leur
amour (chez Raverat à Royston ils partagent une chambre)
et que Gide y a eu au moins une aventure ancillaire, il fait de
l'Angleterre dans son roman une sorte de désert sexuel d'où
toute possibilité de satisfaction charnelle est bannie, raison
pour laquelle Édouard désire, dès sa descente
à Paris se précipiter dans une maison de passe (FM,
985-86). Qui plus est, alors qu'avec Vienne [32] -- et Paris peut-être
-- le Cambridge de ces années-là constitue le foyer
intellectuel le plus brillant d'Europe où tour à tour
la physique, les mathématiques, la philosophie, les sciences
économiques prennent un essor spectaculaire, où l'art
du roman et de la biographie sont en train d'être raffinés,
où la peinture et la critique d'art s'épanouissent,
Gide croit bon de faire de la ville la capitale de la médiocrité
universitaire, incarnée dans la figure de Félix Douviers,
sorte de Fleurissoire redivivus, pédagogue falot,
ignominieusement cocufié en pleine thèse ... et par
un scientifique spécialiste d'histoires de sel, sinon salées !
(4) En ce qui concerne le séjour anglais,
le texte des Faux-Monnayeurs se présente ainsi comme
un travesti de la vérité de Cambridge. Encore un silence
du récit.
Mais nous avons failli
oublier un fragment qu'il faut aussi prendre en considération.
Le 17 janvier 1918 Gide est entrain de rédiger son Traité
des Dioscures qu'il porte en lui « depuis près
de vingt ans » (J. I, 105). Le 6 mars il
lit à Madeleine ce qu'il a écrit,
« étonné de trouver si mauvais les
passages que je croyais les meilleurs et si bons les passages dont
j'étais le moins satisfait », écrit-il (J,
I, 1061). A ces quelques pages qui seront publiées ultérieurement
sous le titre Considérations sur la mythologie grecque
dans La N.R.F, du 1er septembre 1919, il n'ajoutera rien.
Il y est grandement question de Thésée et on sait
que les réflexions le concernant serviront de tremplin au
Thésée plus élaboré et combien
réussi de 1946.
L'on s'accorde à
entendre dans la bouche de Thésée nomade et dompteur
de monstres, puis fondateur d'une capitale, sinon d'un oeuvre capital,
la voix d'André Gide. Et, mettant en parallèle les
événements de la vie de Gide et ceux qu'il imagine
dans La Porte étroite, comment le jeune Gide/Jérôme,
à la cour normande de Monsieur Rondeaux /Bucolin, dont l'épouse
entreprenante ose des gestes équivoques sur le jeune homme
qui, lui, préfère une alliance amoureuse avec la fille
aînée Madeleine/Alissa, détentrice du secret
« orient » de sa destinée, fille aînée
qui sera abandonnée à Cuverville/Fongueusemare en
faveur non d'une cadette, il est vrai, mais d'une sorte de cadet
en la personne de Marc Allégret, qui est presque de la famille...,
comment le jeune Gide ne nous ferait-il pas [33] penser précisément
à Thésée à la cour de Minos, convoité
par Pasiphaë, aimé d'Ariane mais amoureux de Phèdre
et délaissant celle-là sur Naxos ... Et j'admets que
les parallèles s'écartent quelque peu à la
fin, mais pas assez pour en infirmer les grandes lignes ni pour
nous empêcher de songer à la modification possible
d'un vers plus que connu .. . « Madeleine, ma soeur, de
quel amour blessé... » (5).
Mais si étroitement
que Gide ait pu lier son propre destin aux faits et gestes du héros
mythologique, ç'aurait été forcer l'audace
que de faire passer Thésée par Cambridge. La ville,
à l'époque, ne valait pas le détour. Et pourtant,
et pourtant ... dans l'histoire de ce Grec intrépide, qui
quitta sa terre d'Attique pour traverser la mer et débarquer
avec son compagnon Pirithoüs sur une terre étrangère
qui avait sa propre civilisation à elle et une civilisation
puissante, ne ressent-on pas l'affinité avec un Gide si imbu
de son propre hellénisme depuis l'embardée décevante
vers la Turquie en 1914 et qui, la mort dans l'âme, quitte
une France héritière du classicisme ... sinon de l'art
de la litote ... pour voguer avec Marc vers un inconnu périlleux
? « L'île de Crète était puissante.
Minos y régnait », dira le Thésée
de 1946, et la sorte de malaise culturel que Gide a ressenti en
Angleterre en 1918, et qui lui fit confier plus tard à Martin
du Gard qu'il se sentait « mieux outre-Rhin qu'outre-Manche »,
Thésée ne le résume-t-il pas lorsqu'il avoue :
« Je ne suis pas du tout cosmopolite. A la cour de Minos,
pour la première fois je compris que j'étais hellène
et me sentis dépaysé. Je m'étonnais de toutes
choses étranges, costumes, coutumes, façons de se
comporter, meubles (et chez mon père nous étions court
d'ameublement )... » ? (6). Et
le Dédale sculpteur, ingénieur du labyrinthe et conseiller
en choses labyrinthesques -- « mais sais-tu bien [...]
que moi aussi [...] je suis hellène », révèle-t-il
à Thésée -- n'évoque-t-il pas le peintre
sculpteur et mathématicien Jacques Raverat, Français
comme Gide, mais établi aux environs de Cambridge (Thésée,
1431) ? Et Ariane, détentrice du fil protecteur, guide
du labyrinthe qu'étaient pour Gide la langue et la société
anglaise et, comme le déplore Thésée, « trop
férue de littérature » (Thésée,
1429), ne serait-ce pas Dorothy Bussy qui s'éprend de Gide/Thésée
mais qui, à l'instar de Madeleine, sera abandonnée
par lui, plus tard, en [34] faveur de la plus jeune Élisabeth
van Rysselberghe... ? Madeleine passée outre, Dorothy passée
outre, Elisabeth passée outre : Gide, de même
que Thésée, est un abandonneur de femmes. Dorothy/Ariane
voilà qui expliquerait en grande mesure le curieux refus,
refus absolu, que l'auteur opposa à Dorothy Bussy lorsqu'il
fut question de traduire Thésée en anglais
-- « Ce n'est pas du tout votre affaire » écrivit-il
péremptoirement. Traduisons : « Elle a beau
sur son île s'affairer à des traductions, on ne confie
pas l'histoire de Thésée à Ariane ».
Dépitée, son amie lui envoie un poème bizarre,
sur lequel Eric Marty a attiré l'attention, et dans lequel
elle semble elle-même s'identifier au personnage d'Ariane
délaissée : « Tueur de monstres, Thésée
[...] Aimiez-vous les femmes ? Pour pouvoir jouir de Phèdre,
/ Vous avez dû l'habiller en garçon. / Phèdre
impudique sur sa balançoire, une simple p... / Et Ariane,
qui aimait la poésie -- et vous -- une raseuse »
(7) . Et de même que Thésée
rentre en vainqueur tout en se hâtant vers la catastrophe
-- la mort de son père -- Gide s'en revient revigoré
à Cuverville après un séjour « réussi
au-delà de tout ce qu('il) espérai(t) »,
mais ce n'est que pour découvrir le malheur des lettres incendiées
(8). Ajoutons qu'à Cambridge Gide fait
la connaissance de la savante helléniste Jane Ellen Harrison
(1850-1928), éminente spécialiste en rites religieux
et mythologie de la Grèce antique, elle-même amoureuse
à sa manière, et de son propre aveu, d'un Minotaure
tendre et affectueux. Dans les années vingt, elle fréquente
Pontigny et s'établit avec son amie Hope Mirrlees à
Paris. Il est inconcevable qu'à Cambridge ils n'aient pas
parlé ensemble d'un sujet qui les passionnait l'un et l'autre
et de Thésée peut-être. Jane Harrison d'abord,
ensuite l'érudite belge Marie Delcour ... Curieux que les
guides de Gide en matière grecque aient été
des femmes, des Ariane (9).
Il nous manque toutefois,
afin de bien asseoir notre parallèle, un élément
supplémentaire et de taille : le Minotaure. Quel aurait
pu être le monstre que notre héros quinquagénaire
-- Fleurissoire à sa manière -- s'en est allé
occire en terre d'Albion ? La problématique de la grammaire
anglaise ? A la rigueur. Le spectre d'Oscar Wilde ? Il
est vrai que le Minotaure de Gide, parfumé et dévoreur
de chair mâle [35], lui ressemble quelque peu. Et le fait
est que, quelques semaines seulement avant son départ pour
Cambridge, Gide avait lu avec révulsion le livre mensonger
d'Alfred Douglas, Oscar Wilde et moi (J, I. 1068).
Mais on ne tue pas les monstres sacrés. Et si le monstre
n'existait pas, faudrait-il l'inventer ? Point n'est besoin peut-être.
L'une des perspectives
les plus originales des Considérations sur la mythologie
grecque, ainsi, plus tard, que de Thésée,
c'est d'illuminer le geste du héros d'un jour freudien et
cela à une époque où Gide ne savait encore
rien de la psychanalyse. L'oubli fatal qui le fait négliger
de changer, ainsi que convenu, la voile noire en voile blanche,
s'interprète comme un lapsus oedipien, rivalité à
moitié subconsciente avec un père bon mais détenteur
de pouvoir absolu (même si de mobilier relatif) et qu'il tarde
au fils héros de supplanter. C'est le meurtre du père.
Et dans le tête-à-tête que Gide imagine entre
Thésée et Oedipe à la fin du récit n'est-il
pas curieux que ne figure pas une comparaison de leurs parricide
mutuels ? Le jeune André, on s'en souvient, avait déjà
« tué » son père, à l'âge
de onze ans, par le geste meurtrier de l'onanisme et en avait été
marqué d'un vif sentiment de culpabilité (10).
Se peut-il que Gide soit allé en Angleterre tuer son père,
que le monstre n'ait été autre que Paul Gide ?
Tue-t-on les pères et même les pires d'entre eux deux
fois ? Sans doute, encore que le père de Gide, vir
probus, fût des meilleurs. Mais tuer le père équivaut
également à supprimer le passé, tout un passé
protestant que Gide veut essayer de larguer définitivement.
Aller en Angleterre, c'est signaler la rupture d'avec ce passé,
coupure qu'avait marquée, dans son oeuvre, Les Caves du
Vatican. Soulignons que c'est en 1914,
date des Caves, qu'il avait d'abord voulu traverser la Manche,
mais pour être contrecarré par la guerre, puis contrarié
en 1915 lorsqu'il essaya de partir de nouveau. Quatre ans d'attente
pour traverser le Rubicon ! Maintenant enfin, en 1918, il peut
s'y rendre, et de plus en compagnie de Marc. Cambridge représente
ainsi le défi à l'inhibition puritaine, l'acceptation
totale de son amour, la rupture d'avec les interdits de la guerre,
d'avec Cuverville, d'avec les oukases de Claudel, d'avec le « vieil
homme », d'avec le monde du père. Finis les atermoiements !
Il s'agit de [36] rompre les amarres. Ce qui est urgent, c'est de
vivre et de manifester la vérité, d'exprimer l'important
qui reste à dire, de nommer ce qui le dévore et qui
est à préférer à l'homme, car il faut
que cela croisse et que l'homme diminue, en somme de publier Corydon,
Si le grain ne meurt, Les Faux-Monnayeurs,
avant qu'il ne soit trop tard, car à cinquante ans on se
sent mortel. Autrement dit le monstre est en lui-même, car
on ne tue bien le père après tout qu'en soi. Et puis
quoi de mieux pour exorciser le puritain en soi que d'aller le faire
en Angleterre, berceau du puritanisme !
N'oublions pas non
plus qu'il y a des pères substituts. Dans le milieu proche
de Gide, le protestantisme, y compris dans ses pires aspects, continuait
à s'incarner dans la figure d'Elie Allégret, modèle,
avec les déformations romanesques de rigueur, du Pasteur
Vedel des Faux-Monnayeurs. Je suis de plus en plus persuadé
qu'une des clefs, non encore découverte, de l'énigme
Gide, réside dans ses rapports avec la famille Allégret
et que tout un pan de l'histoire Gide demeurera dans l'ombre jusqu'à
ce qu'ait été racontée l'histoire des Allégret,
l'histoire aussi, soit dit en passant, des Charles Gide. Au jeune
Gide le pasteur Elie Allégret, bien que plus âgé
que sa charge de seulement cinq ans, avait servi de « précepteur »
-- le mot est de Gide. En attendant la publication de la correspondance
de Gide avec sa mère, les seuls détails qui nous soient
connus du voyage qu'il fit à Londres avec le pasteur Allégret
sont ceux qu'il raconte dans Ainsi soit-il
et ceux que rapporte la Petite Dame : qu'il est allé
écouter le grand prédicateur Spurgeon, qu'il a répondu
« Non » par mégarde à une Evangéliste
qui lui avait demandé s'il voulait être sauvé,
et, qu'au cours du voyage il avait pour livre de chevet le Journal
d'Amiel (Asi.1190-91; CPD, l, 139). On ne peut ne
pas remarquer une bizarre inversion entre les situations de 1888
et 1918 à trente ans précisément d'intervalle.
En 1888 un pasteur protestant précepteur accompagne son élève
de dix-neuf ans en Angleterre. En 1918 cet élève,
devenu mentor à son tour, maintenant presque quinquagénaire,
et qui fait très « pasteur protestant »
(selon le témoignage de Dorothy Bussy entre autres), accompagne
son ami élève dans le même pays et cet élève
n'est autre que le fils, âgé de dix-neuf [37] ans,
du pasteur d'autrefois. Mais le climat puritain de 1888 est maintenant
ambiance amoureuse, la rigueur morale d'alors laxisme équivoque.
C'est avec une sorte de prescience tout accidentelle que Gide a
fourni en 1888 la réponse de trente ans plus tard. Non !
il ne veut pas être sauvé ! Il s'agit plutôt
de se perdre -- car « Celui qui aime sa vie la perdra »
(J. I, 989) Débaucher
le fils, ne fût-ce que moralement, c'est attenter au père,
le père de Marc, mais qui est à la fois père-substitut
de Gide. On songe au « petit garçon qui s'amuse
-- doublé d'un pasteur protestant qui l'ennuie »,
ainsi qu'au passage troublant du Journal des Faux-Monnayeurs:
« C'est par haine contre cette religion, cette morale
qui opprima toute sa jeunesse, par haine contre ce rigorisme dont
lui-même n'a jamais pu s'affranchir, que Z travaille à
débaucher et à pervertir les enfants du pasteur. Il
y a là de la rancune. » (JFM., 21: 25 juillet
1919). Le séjour de 1918 prend ainsi les allures d'une revanche
diabolique sur celui de 1888, revanche motivée par la haine,
à moitié inconsciente seulement, contre le précepteur-père
(11).
Lorsqu'après
un nouvel intervalle de trente ans (ou de vingt-neuf, pour être
précis), Gide, devenu père lui-même entre-temps,
non pas toutefois d'un fils, revient en Angleterre, mais à
Oxford, est-ce simple coïncidence que dans son discours de
réception du doctorat honoris causa,
il parle du père, mais, comme si pour faire amende honorable,
du père sauvé cette fois par le fils, d'« Énée
s'enfuyant de Troie incendiée avec son vieux père
sur ses épaules [...]. Énée ne portant pas
simplement son père, mais tout le poids de son passé. »
(E.Starkie, « A Oxford »,
N.R.F., nov. 1951, 47). Le passé de Gide, du moins cette
partie qui était préservée dans les lettres
à Madeleine, n'a pas survécu aux flammes.
Résumons.
Tout comme les autres textes en chantier autour de 1918, les Considérations
sur la mythologie grecque ne disent à proprement parler
rien sur Cambridge. Comment, du reste auraient-elles pu le faire
rédigées comme elles l'ont été six mois
avant la date du départ. Et cependant, à la différence
des autres textes, indirectement et de manière codifiée,
ne disent-elles pas, à leur façon, beaucoup ?
Leur silence est d'or. Comme l'écrit Gide, « la
[38] première condition pour comprendre le mythe grec, c'est
d'y croire » (M.C., (1921),185). Gide est parti
pour l'Angleterre comme il avait imaginé Thésée
embarquant pour la Crète. Et, jugé par rapport au
premier voyage à Londres avec le pasteur Allégret,
on comprend pourquoi il a vu son périple sous un jour quasi
héroïque.
Ce qu'il y a de plus
surprenant cependant, ce n'est pas que Gide ait revécu le
destin de Thésée en Angleterre : c'est plutôt
qu'il semblerait qu'il y soit allé, consciemment ou inconsciemment,
afin de revivre ce destin. Voilà qui, peut-être,
aide à expliquer la véritable compulsion qui l'a poussé
à Cambridge ; « le besoin que j'ai
depuis longtemps de l'Angleterre », comme il l'avait dit
à Ruyters ; « un immense désir (qui)
me tourmente depuis longtemps », comme il l'avait écrit
à Gosse, tandis que Madeleine, elle, parla, en connaissance
de cause, de l'« ancien violent désir »
que son mari tenait à réaliser (12).
La détresse qu'il ressentit devant ce pas décisif
et périlleux se résume dans les mots qu'il note dans
son Journal la veille du départ : « Je
quitte la France dans un état d'angoisse inexprimable. Il
me semble que je dis adieu à tout mon passé. »
(J, I, 1070). Son désarroi de l'époque, il
le transfère sur l'Édouard des Faux-Monnayeurs
à qui il fait dire -- c'est un extrait de son journal avant
son départ pour l'Angleterre, où, à la différence
de Gide, il n'emmène pas Olivier -- : « Je m'embarque
demain pour Londres. J'ai pris soudain la résolution de partir.
Il est temps [...]. Partir parce que l'on a trop grande envie de
rester !... [...] Ah ! si je pouvais ne pas m'emmener ! »
(FM., 1031-32). Gide ou Édouard, c'est bien Thésée
qui part, poussé par une force intérieure, le Thésée
que la Phèdre de Racine aurait bien voulu, mais sous le masque
d'Hippolyte, suivre partout... « Compagne du péril
qu'il vous fallait chercher » ( Cmg.,
dans MC; Phèdre, II, 5, 661).
Un dernier détail
intrigue. La veille de s'embarquer, Édouard écrit
aussi dans son journal ceci : « Acheté hier
chez Smith un cahier déjà tout anglais, qui fera suite
à celui-ci sur lequel je ne veux plus rien écrire.
Un cahier neuf... » (FM, 1031-32). J'aimerais imaginer
qu'il se trouve, dans quelque tiroir oublié de la Bibliothèque
Doucet, si toutefois il arrive à M. Chapon d'oublier
des tiroirs, ce dont je doute, [39] un journal de Cambridge, riche
de tous les détails de cet été d'il y a maintenant
soixante-dix ans. D'ici à ce qu'on le découvre, il
faut s'en tenir au silence, un silence tant désiré
par Madeleine qu'elle s'est faite incendiaire pour le préserver.
Un tel tiroir, hélas ! n'existe pas et un tel journal
n'a certainement jamais été écrit. De même
que Thésée a oublié de changer la voile noire
en voile blanche, Gide a tenu finalement à ne pas couvrir
de noir les feuilles blanches d'un quelconque carnet cambridgien
acheté rue de Rivoli la veille de sa traversée de
la Manche.
NOTES
N.D.L.R.--
Les renvois au Journal de Gide, qui, dans la publication
originale faisaient référence à l'ancienne
édition Pléiade, ont été transposés,
pour cette réédition, où la référence
est la nouvelle édition Pléiade (Marty, Sagaert).
1. Le
premier paragraphe de la version originale de cet article (1988)
affirmait, par erreur, que Gide avait accomplit sept voyages en
Angleterre; nous rectifions ici, seule modification importante
au texte de 1988. Pour Gide et l'Angleterre voir, entre autres, André Gide
et l'Angleterre, Londres 1986, Birkbeck Collège (Actes
du Colloque de Londres, 1985); F.J.L.Mouret, « Images
anglaises dans l'oeuvre d'André Gide », R.L.C.,
44, (1970), 460-471; et mon article : « Escape
and Aftermath: Gide in Cambridge 1918 », Yearbook
of English Studies, vol. 15, 1985, 125-159 (traduite en français
dans une version entièrement remaniée dans le BAAG
de janvier 2000, pp. 11-74, n.d.l.a.). En ce qui concerne
ce dernier, je suis redevable à Michael Tilby d'avoir attiré
mon attention sur le fait que j'y ai omis de parler de la visite-éclair
que Gide fit en Angleterre en 1908. Rappelons qu'il a également
fait un séjour de plusieurs semaines à Jersey auprès
de Copeau en l'été de 1907; de faux départs
il y en a eu aussi bon nombre.
2. Drieu la Rochelle, « Cambridge »,
Littérature, oct. 1919,, 20-21. Valéry Larbaud,
Lettres àAndré Gide, La Hague, 1948, Stols,
77-78, lettre du 27 mai 1913; André Gide-Arnold Bennett,
Correspondance, Genève, Droz, 93-94, lettre du 16
juillet 1918.
3. « A propos des Déracinés
», Morceaux Choisis, Paris, 1921, Gallimard,
17.
4. FM, 969-70, 1005-06,
1183-85. L'on songe à Rutherford, Russell, Wittgenstein,
Keynes, Wolf, Strachey, Grant, Fry, Bell, pour ne citer que ceux-là.
5. Phèdre,
l, 3, 253. Il est intéressant de comparer le passage de
Thésée: « [...] tout en protestant
qu'elle ne s'adressait qu'à mon âme (...), (Pasiphaë)
ne laissait pas de porter ses mains à mon front, puis,
les insinuant sous mon justaucorps de cuir, elle palpait mes pectoraux »
(Thésée, 1426) avec celui de La Porte
étroite: « (Lucile Bucolin) attire contre
le sien mon visage, passe autour de mon cou son bras nu, descend
sa main dans ma chemise entr'ouverte (...) pousse plus avant ... »
(PE, 500), comparaison qui étaie le rapprochement
entre Lucile Bucolin, Pasiphaë et Mathilde Rondeaux. On retrouve
aussi des traits de Thésée dans le Bernard des Faux-Monnayeurs,
977.
6. Th., 1425. Correspondance
Gide-Martin du Gard, Paris, 1968, Gallimard, I, 151, 5 juillet
1920. Revenant de Turquie en Grèce en 1914, Gide écrit:
« C'est de Turquie qu'il est bon de venir et non de
France ou d'Italie pour admirer autant qu'il sied le miracle que
fut la Grèce [...]. A présent je sais que notre
civilisation occidentale (j'allais dire française) est
non point seulement la plus belle ; je crois, je sais qu'elle
est la seule -- oui, celle même de la Grèce,
dont nous sommes les seuls héritiers. [...] J'habite éperdument
ce paysage non étrange ; je reconnais tout ;
je suis « comme chez moi » : c'est la
Grèce. » (J., I, 785-86).
7. Eric Marty, « Gide
et Dorothy Bussy », Gide et l'Angleterre,
Londres, 1986, 93; Corr. AG-DB; III, 517. Un
quart de siècle plus tôt, Joseph Conrad avait protesté
à Gide qu'il préférait être traduit
par des hommes : « Si mes écritures ont
un caractère prononcé, c'est leur virilité/.../
Et vous me jetez aux-femmes. » Voir S.Barr, « Gide
traduit Conrad », Gide et l'Angleterre, 40.
8. J. Schlumberger, Madeleine
et André Gide, Paris,1956, 190.
9. Auteur prolifique, Jane Harrison
publia notamment Prolegomena to the Study of Greek Religion,
Cambridge, 1903 et 1907; Themis, Cambridge, 1912; Alpha
and Omega, Londres, 1915; Mythology. Our Debt
to Greece and Rome, London, 1924. Le 10 février 1914,
elle fit une communication à la Hellenic Society sur « Poséidon
et le Minotaure ». Sur elle, on consultera ses Reminiscences
of a Student's Life, Londres, 1925, mais surtout Jessie Stewart:
Jane Ellen Harrison. A Portrait from Letters, 1959,
Merlin Press. Voir Corr. AG-DB, II, 156. Sur Gide et la
mythologie grecque, on se reportera à Helen Watson-Williams,
André Gide and the Greek Myth. A Critical Study,
Oxford, 1967.
10. Sur la
mort de son père, en plus des commentaires de Si le
grain ne meurt, et de Jean Delay, JAG, l, 164-70 et
254-60, on retiendra cet extrait d'une lettre à J.-E. Blanche
d'août 1893, après la mort du Dr. Blanche :
« Ce deuil, c'est à la fois une grande tristesse
et un grand calme -- mais c'est une grande tristesse : j'ai
appris douloureusement que la perte d'un père est une chose
que l'on ne comprend que peu à peu ».Corr.
AG-JEB, 73.
11. Dans l'introduction à
son édition récente des Carnets du Congo
de Marc Allégret, Paris, 1987, Presses du CNRS, 12-15 etc.,
Daniel Durosay, reprenant le schéma psychique que j'ai
esquissé à plusieurs reprises (« Jacques
Raverat et André Gide : une Amitié »,
Gide et l'Angleterre, 85-86, « Escape and Aftermath,
Gide in Cambridge 1918 », Yearbook of English Studies,
1985, 133, et B.A.A.G., no.77, janv. 1988, p.8) -- que
Gide aurait, inconsciemment en partie, calqué quelques
épisodes importants de sa vie sur ceux de la vie d'Élie
Allégret, tout en inversant la teneur morale -- indique
comment le voyage au Congo de Gide peut être considéré
comme une sorte de déconstruction des voyages antérieurs
que le pasteur Allégret y avait accomplis.
12. Corr. AG-EG,
155, 10 juin 1918; lettre inédite à Ruyters, 21
avril 1918; lettre inédite de Madeleine Gide à Isabelle
Rivière, 6 août 1918 (Voir Gide et l'Angleterre,
85, n.l.)
Après des études
à Oxford et à Paris VII, avec, entre-temps, quatre
années de « lectorat » à la
Sorbonne et a l'E.N.S. rue d'Ulm, David Steel a poursuivi sa carrière
d'enseignant à l'Université de Lancaster, dans le
nord-ouest de l'Angleterre, ou il est actuellement maître
de conférences. Auteur d'une thèse d'état
(Le thème de l'enfance dans l'oeuvre d'André
Gide, Université de Paris VII), et de très nombreux
articles sur Gide, tant dans le BAAG qu'ailleurs, il a
écrit également sur le surréalisme et sur
la publicité francaise contemporaine.
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