Les Cahiers luxembourgeois

n 5, 1929

 

Nicolas Ries

 

Voici un de ces petits chefs-d'œuvre qu'on se remet immédiatement à relire après les avoir parcourus avec une attention passionnée. La composition en est lumineuse, l'auteur n'a rien abandonné au hasard, et cependant on sent qu'en l'entreprenant à nouveau on s'initiera mieux encore aux secrets de cet analyste subtil tout en se donnant à soi-même la satisfaction intime d'avoir deviné ce qu'on n'avait pas tout de suite compris.

C'est ainsi que, tout en se rapprochant d'un auteur au talent consacré, on s'en fait en quelque sorte le collaborateur par procuration.

Cette leçon est-elle du même genre que celle que Molière prétendait donner aux femmes et, par celles-ci, aux hommes ? En tout cas les jeunes femmes, malgré la précocité qu'elles manifestent ou affectent parfois de nos jours, pourront apprendre bien des choses dans ce journal d'une existence « chimérique », lequel aurait dû être en réalité une des faces du miroir double. Celles-là du moins qui, comme la pauvre Eveline d'André Gide, ont besoin d'amour et de dévouement, seront mises en garde contre des devoirs imaginaires et des sacrifices inutiles. Et elles ne seront pas trop déçues en apprenant qu'il y a une poésie des yeux ouverts qui vaut celle des cœurs mystiques et des regards extasiés.

Un livre comme L'École des Femmes ne se raconte pas ; il est à la fois trop simple et trop profond. Trop de problèmes s'y posent et s'enchevêtrent à la fois. Mais qu'est-ce au fond qu'une femme qui a tout juste l'étoffe d'une honnête femme ? Est-il bon de prendre ses sentiments pour des raisons, de confondre l'émotion avec son expression, d'affecter d'être dupe parce que cela est plus commode ? Est-il donné à tout le monde de se maintenir à la hauteur de ce qu'on voudrait être ? Et quel est en définitive le rôle de la femme amoureuse dans la vie des grands hommes ?

Lisez ce livre. C'est un des plus en vue de l'année et un des meilleurs d'André Gide. Je serais fort étonné s'il n'entrait pas au Panthéon des grands livres.