L’Action française

20 décembre [1924]

Harvard de la Montagne

 

      L’article d’Henri Massis sur André Gide devait nécessairement soulever quelques discussions. « Rageuse diatribe », écrit L’Ère nouvelle, et l'on ne pouvait plus mal caractériser la manière de Massis, où la vérité s’exprime avec force, mais avec mesure. Mais, si l’on s’explique que L’Ère nouvelle prenne la défense de M. Gide, le plaidoyer de M. François Mauriac, dans l’Université de Paris, est un peu surprenant. M. Mauriac reproche à Massis d’avoir employé l'épithète de « démoniaque ». Il veut que l’œuvre de M. Gide rende témoignage :


      « Elle ne nous révèle que des joies déçues, des soifs irritées, des expériences vaines, et ce silence de Narcisse vieilli, penché sur sa fontaine et détournant soudain des yeux pleins de larmes. Parce qu'il irrite notre soif, Gide nous fait souvenir de l'eau du puits de Jacob. Multiple, Gide se délivre dans ses ouvrages. Ce sont, non des disciples vivants, comme vous l'en accusez, mais les fils de son génie qu'il charge d'accomplir les gestes dangereux ou défendus. Lafcadio peut sans doute faire du mal ; il peut faire du bien aussi, car tout poison est un remède ; il guérit ou tue selon la dose, et selon le tempérament qui le reçoit. Quel écrivain se vanterait de ne troubler personne ? Qui sait si certains « jugements » ne dégoûteront pas à jamais certains esprits du catholicisme ? »
Gide démoniaque ? Pas plus que Socrate, accusé de corrompre la jeunesse parce qu’elle apprenait de lui à se connaître, conclut M. Mauriac. Pourtant, M. Félix Bertaux, dans L’Ère nouvelle, convient que M. Gide a un démon, celui de la liberté. Il lui faut devant lui le terrain nu, l’horizon que rien ne barre, qui demeure ouvert à tous les possibles :


      « Vous l’aviez, dans les Nourritures terrestres, cru ivre de païenne sensualité : le voici dans la Porte étroite, amoureux d’ascétiques renoncements. Sa ferveur vous semblait devenue toute chrétienne : comtesse de Saint-Prix, tel Protos, il se joue de vous ; il rit d’Amédée Fleurissoire, il rit de l’héroïque croisade entreprise pour délivrer le pape prisonnier de la Loge dans les Caves du Vatican ; il rit du franc-maçon Anthime qu’il a condamné à se convertir, il rit partout, du jeune et libre rire de Lafcadio. »


      Est-ce là cette façon de nous éclairer sur nous-mêmes et qui, d’après M. Mauriac, prépare en nous les voies de la Grâce ?